Sidi Boulbaba, si je vous écris cette lettre c’est parce que vous êtes bien mort, et que vous ne pourrez pas corrompre qui que ce soit pour obtenir contre moi quelque injustice que ce soit. Si je m’adresse à vous c’est parce que vous êtes «très» mort, et que vous ne pourrez pas témoigner mensongèrement contre moi, ni révéler les confidences que je vous aurai faites.
Que voulez-vous que je vous dise sur la société civile? Je n’arrive plus ces temps-ci à la défendre; je la trouve parfois si fourbe que la laisser me rouler davantage ce serait faire preuve d’un crétinisme rare.
Que vous dire Sidi Boulbaba de plus, que certains de nos responsables de la sécurité ne connaissent pas le plus fameux principe de notre Destour, le plus grand acquis de l’Homme depuis deux siècles, celui qui énonce que «tout Homme est présumé innocent, tant qu’on n’aura pas prouvé sa culpabilité». Pour avoir été allégée de mes documents officiels par un larron au cours d’un voyage, agissant avec l’habilité et la rapidité d’un prestidigitateur, un officier de police m’a «retenue» une heure à l’aéroport de Tunis-Carthage, me sifflant au visage de prouver que je n’ai pas vendu mon passeport, malgré une attestation officielle délivrée par les autorités compétentes d’outre-mer et visée par notre ambassade.
«Prouvez votre innocence», hurlait-il !
«Prouvez ma culpabilité!», rectifiai-je !
N’eurent été la rencontre fortuite et l’intervention d’un haut magistrat à la Chambre criminelle de Tunis, qui souffla l’énoncé du principe dans l’ordre à l’oreille de l’homme zélé (qui a dû manquer un cours, en matière des Droits de l’Homme) , je me serais trouvée en détention préventive «jusqu’à demain matin», comme il m’en avait menacée.
Mes enfants, venus m’accueillir, suivaient de loin la scène et mille yeux dans le hall de l’aéroport s’écarquillaient, et les mots criés «Innocence» et «Culpabilité» atterraient les présents. C’est vous dire, Sidi Boulbaba, qu’il y a des diplômés qui réussissent leurs examens grâce aux fausses copies. Et pourtant, ils sont au service de l’Etat de droit.
Mais il se passe des choses plus graves au Temple de Thémis, Sidi Boulbaba. La justice a quitté le Temple de Thémis dans le cas des document que j’ai déposés dans vos murs. Notre Garde des Sceaux sans doute l’ignore-t-il, mais dans la société civile, nous citoyens, sommes, souvent des sots, bien gardés! Sidi Boulbaba, vous qui êtes l’ami de Dieu, pouvez-vous dire si je dois soutenir une société civile opaque, rien que parce que des extrémistes religieux devenus fous assassinent les intellectuels en Algérie ? Si je dois fermer les yeux sur les travers et la corruption de la société civile, seulement pour aider à maintenir un climat de paix boiteuse? Si je dois supporter les injustices et les inquisitions, seulement à cause de mon refus de la barbarie et du chaos?
Serais-je un jour amenée à faire un choix entre le désastre et la catastrophe ? Je ne le souhaite pas.
Sidi Boulbaba, permettez-moi de vous rapporter la meilleure : quelqu’un issu de votre voisinage a trouvé asile dans le berceau de la Démocratie, de la liberté d’expression, de la liberté de pensée, enfin de toutes les libertés.
Suffit-il de se terrer dans un berceau en or pour avoir le poinçon royal ? Sidi Boulbaba, êtes-vous d’accord pour le mariage officiel des lesbiennes et des gays? Etes-vous d’accord pour que les bébés sans pères accordent les privilèges à leurs mères célibataires, avant même les mères légitimes ? Imaginez-vous vos compatriotes, livrés, sans aucune ancienneté ni traditions, à l’exercice le plus absolu des libertés de presse? Imaginez-vous une femme député retraitée d’une firme de films pornographiques. Non! dites-vous? Ce n’est pas très conforme à votre identité arabo-musulmane. Eh, bien, Sidi Boulbaba, ce Monsieur cherche à faire avaler des couleuvres aux personnes éprises des libertés, et des Droits de l ‘Homme.
Même les personnes modernes, modérées ont du mal à digérer l’éventail des libertés des pays défenseurs des Droits de l’Homme depuis plusieurs siècles. Et pourtant ce Monsieur qui n’a rien de libéral cherche à faire croire qu’il est le Mehdi El Montadher, et que beaucoup de gens le réclament. Après tout, pourquoi pas, chacun vit avec ses fantasmes. Ce que je veux moi, c’est le respect et la dignité de tout homme dans quelque situation qu’il soit. La justice doit être jalousement gardée pour que nul ne désespère.