Cette phrase, qui en apparence ressemble à une prise de position exprimant la solidarité, et qui dans la pensée et l’expression phallocratiques est considérée comme un signe de «virilité», «(rjoulia)», est souvent, dans les pays du Tiers-Monde, manipulée par les uns et les autres, en arme d’intimidation, de menace, voire de coups bas. «Touchez pas à mes potes», exprimée explicitement est suivie, implicitement, par «ou je t’écrase, comme une punaise, je t’écrabouille, je t’anéantis». Ainsi donc, cette phrase généreuse, et qui dans les pays de démocratie ancienne, rassemble des milliers de personnes, provoque des manifestations impressionnantes, et donne des soucis réels aux gouvernants, est appuyée par les personnes éprises de liberté, de justice, d’égalité, même si ces personnes n’y ont aucun intérêt ou ne sont pas d’accord sur le fond.
Dans les pays du Tiers-Monde, malheureusement, cette phrase est souvent anti-démocratique, elle est l’ennemie de la justice, de la liberté d’expression, de la liberté de la Presse et de l’égalité pour tous – son corollaire est une attitude arrogante et injuste: «Je vous em……e, j’ai des relations». Mon opinion est que la démocratie n’est pas un cadeau de l’Etat, elle ne peut qu’émaner de nous quand chaque individu à l’intérieur de lui-même analysera une à une toutes les composantes du mot «Démocratie» et renoncera à l’égoïsme, l’égocentrisme, le népotisme et la mégalomanie, et se convaincra que la démocratie ne peut éclore et s’épanouir qu’en reconnaissant l’existence, le respect et la liberté des autres. La démocratie n’est pas une question de protection et de protectionnisme entiers et absolus. Elle est d’abord une responsabilité et une maturité individuelles, avant d’être une responsabilité de groupe ou de corporation, ou même de famille.
Ce «Touchez pas à mes potes», dans les milieux de la Presse en particulier, terrorise souvent certains journalistes dans les pays du Tiers-Monde. Mais ce qui est plus étonnant et plus grave c’est quand le citoyen arrive dans le cabinet d’un avocat, pour une affaire parfois banale, et lui dit: «Maître, savez-vous que le cousin de mon adversaire est le gendre de M. Untel?» ou «Maître, j’aime mieux vous prévenir que cette dame a des relations au Palais, son frère a un juge comme voisin». Mais c’est lamentable comme mentalité! Quand les citoyens doutent des codes et des lois, doutent de la justice, doutent de leur bon droit et s’attachent aux personnes et aux relations, ils pénètrent l’ère de l’arbitraire. Pourtant, il est important qu’ils soient convaincus que les personnes et les relations sont éphémères, seule la loi est vraie et forte, seule la vérité est éternelle; même si elle est bafouée pendant cinq ans ou dix ans. Il faut être coriace et ne pas craindre d’aller jusqu’au bout, car le bout de la nuit est le jour! C’est même une lapalissade. M. Nelson Mandela est resté en prison 27 ans, le Président Bourguiba est resté longtemps en exil. Il a bien fallu que la vérité et la justice triomphent.
Ainsi certains hommes d’affaires, m’a-t-on dit, brassent du vent, alors qu’ils ont emprunté aux banques des milliards; certains organisateurs et responsables de la Coupe d’Afrique nous ont mis dans la mouise morale et ont déçu un million de nos jeunes; certains avocats, certains médecins, certains juges, certains pharmaciens, certains professeurs, certains experts, certains… font quotidiennement des pieds de nez à la déontologie, à l’honneur de la profession et oublient le sens des valeurs nobles… Est-ce une raison pour généraliser? Certainement non! Mais est-ce aussi une raison pour que les corporations, les conseils de l’Ordre défendent en bloc leurs ouailles? Certainement non! Car, en fait, l’assemblée des potes n’est pas une association dans laquelle s’épanouissent des malfaiteurs. Les potes, c’est une somme de gens respectables et respectueux auxquels on accorde spontanément le bénéfice de la droiture, de la compétence, de l’honnêteté. Il est vrai que le pote est un être humain avec ses faiblesses; toutefois, le pote doit être quelqu’un de bonne foi pour que ses potes se mobilisent pour lui. Un bon pote ne doit pas entraîner ses potes dans les magouilles, les détournements de fonds ou de clientèle, les abus de biens sociaux, les expropriations, car un pote qui couvre un pote malhonnête cela donne deux complices. Et notre loi pénale condamne l’auteur de l’infraction et le complice pareillement.
On a vu,en France et ailleurs, des potes de personnalités politiques se suicider pour ne pas nuire à la respectabilité des potes qui les ont toujours soutenus. Combien j’envie les Américains, les Anglais, les Français, lorsque dans leurs pays certaines personnes influentes par leurs richesses, leurs parentés, leurs pouvoirs, malgré leurs potes, répondent aux convocations de juges d’instruction libres et intègres, les citoyens peuvent lire, sur des journaux sérieux et responsables, des informations des analyses des affaires qui les concernent de loin, ne fût-ce qu’à titre de contribuables. Là est la démocratie. Il n’y a pas de «Touchez pas à mes potes» dans les ténèbres.
«Ne touchez pas à mon pote» est une excellente règle de vie en matière de justice, de liberté, d’égalité, d’honnêteté et de Droits de l’Homme. On ne doit pas oublier qu’elle est aussi la règle de la mafia, la loi du clan, à tort ou à raison.
M. Hechmi Ayari, président du Conseil de l’Ordre des Médecins, aurait pris la mouche parce qu’un éminent juriste et président de la Cour d’Appel a regretté que certains médecins, constatant les coups et blessures sur un patient qui leur demande un constat, sont plus ou moins généreux dans la rédaction du certificat initial, selon les honoraires qu’ils comptent demander à leurs clients. M. le professeur Ayari se réserverait le droit, selon le journal “Essabah” d’entamer une affaire en justice, pour demander réparation de «la calomnie». Cette attitude ne peut qu’honorer le président du Conseil de l’Ordre des Médecins, dans l’absolu, bien sûr, mais, «car il y a un mais, qui remet tout en question», dit la chanson d’Aznavour. Je ne veux en aucune façon provoquer la désillusion, encore moins la polémique, mais combien de médecins de nos jours, pourraient seulement réciter le serment d’Hippocrate? Quand votre propre maison est en verre, il est préférable de s’abstenir de lancer des pierres.
Le président de la Cour d’Appel de Tunis, homme connu et respecté pour sa compétence et son expérience de trente ans au moins, n’a jamais pu généraliser. Il a cru normal d’exprimer une opinion (répandue et partagée) qui a pu se forger au fur et à mesure de l’étude de centaines de dossiers qui lui ont été présentés à ce sujet. Il a parlé hors tribunal et en dehors de l’exercice de ses fonctions, j’espère qu’on ne lui conteste pas la liberté d’expression. Le professeur Hechmi Ayari est le frère de ma pote, le président Abdelwaheb Ben Ameur est l’époux de ma pote. Ce sont d’excellents et de vrais potes au sujet desquels on peut clamer tout haut, fièrement et avec beaucoup de convictions «Touchez pas à mes potes».