L’histoire que je voudrais rapporter n’est pas extraite d’un roman, c’est l’histoire d’une enfant naturelle arrachée à sa patrie il y a vingt-cinq ans par un jugement d’adoption accordé à une riche veuve musulmane d’un pays voisin régi par la chariaâ. La loi tunisienne ne permet pas l’adoption d’enfants abandonnés par des non-Musulmans. Vous allez vous mêmes mesurer l’absurdité de certaines décisions de justice quand elles mêlent la religion au droit positif.
Il faut déjà savoir que la Tunisie est le seul pays musulman qui reconnaît l’adoption et accorde à l’enfant adopté des droits identiques à ceux de l’enfant légitime. Le législateur en 1957 a voulu qu’aucun Tunisien ne soit exclu de la société civile : au lendemain de l’Indépendance, aucun enfant ne devait rester dans la rue. Quand le Président Ben Ali, en 1987 a accédé au pouvoir , la rumeur de l’abolition de l’adoption a semé la panique chez les couples sans enfants, et dans les centres de l’enfance abandonnée. Médecins, psychologues, responsables, avaient le même mot à la bouche: “Que vont devenir tous ces enfants!” Les juges eux-mêmes disaient: “Allons nous revenir aux infanticides, allons-nous retourner aux avortements dans la clandestinité, aux suicides des filles désespérées, séduites, honteuses?” Nul n’ignore que ces problèmes existent depuis· que le monde est monde. L’évolution sociale et celle des lois ont seulement permis de les exposer en plein jour, de les affronter d’une façon responsable.
Quand le Président Ben Ali, s’adressant aux femmes, leur assura qu’il n’était pas question de toucher à leurs acquis, qu’il n’était pas question de retourner à la chariaâ et à son intransigeance, les femmes ont soufflé.
Le paradoxe dans tout cela, c’est . que pour concevoir un enfant, il faut une femme et un homme. Or, qui est condamné par la société? Qui subit la peine et le reproche? C’est la femme seule! Je n’ai pas l’intention de faire une analyse juridique de cette affaire portée en justice devant la 7ème Chambre civile siégeant en matière de statut personnel et présidée par Mme Hassiba El Arbi, magistrat renommé pour sa compétence et ses qualités de coeur. Je voudrais seulement la traiter du point de vue humain et social, pour rappeler à ceux qui sont tentés de l’ignorer que la Tunisie est un pays de tolérance, que nos lois sont humaines, qu’elles respectent la vie humaine, à fortiori si elle n’a pas commis le pêché qu’on lui reproche. Et que l’avantage de la société civile c’est le pardon que Dieu, dans sa grande miséricorde, accorde à chaque repenti.
Voici les faits: une riche veuve musulmane, ressortissante d’un pays voisin a usé de son influence pour obtenir, d’un juge tunisien, l’adoption d’une petite fille abandonnée.
Elle voulait en faire une dame de compagnie pour sa vieillesse. La mère adoptive et la petite adoptée vécurent quinze ans de bonheur. L’enfant fut envoyée à l’école et reçut une bonne éducation. Mais la mort subite de la mère et son manque de prévoyance allaient jeter la fille adoptive dans le plus grand désarroi.
La petite fut aussitôt déclassée, comme tous les orphelins de la terre. De plus, la famille de la défunte a révélé brutalement à la jeune fille son adoption, son origine, lui déniant tout droit au nom de sa mère, tout droit à la succession, tout droit à la nationalité. La famille ne la chassa pas tout de suite:
Tout s’est écroulé dans la tête, le coeur et la vie de la petite. Tout a sombré dans le néant : le passé, l’avenir et même le présent, sa minorité, le choc psychologique, l’histoire soudaine de l’entourage l’ont réduite au silence.
A sa majorité elle se hasarda à demander des comptes. Mal lui en prit, car la famille la menaça de prévenir la police et de la dénoncer comme étant une clandestine vivant dans leur pays sans qualité et sans papiers. Pour tout papier, en effet, elle avait son passeport tunisien qui était périmé; elle était passible de prison.
Elle prit alors son baluchon et se dirigea vers son pays natal, la Tunisie, en quête d’une identité. Arrivée à la frontière, elle se vit sermonner par un douanier charitable qui la laissa pénétrer sans lui retirer son passeport; il lui recommanda de régulariser sa situation dès qu’elle arriverait à destination.
Quelle destination?
Elle s’adressa aux autorités pour avoir des papiers. Son histoire parut louche. Pouvait-elle répondre à un questionnaire précis: nationalité du père? inconnu ! La nationalité de la mère ? étrangère. La nationalité tunisienne lui fut refusée.