C’est à cinq heures du matin que j’ai appris voilà dix jours la disparition de l’avion de M. Yasser Arafat et de ses compagnons. Le commentateur de RMC avait proclamé que sans doute la baraka, cette fois l’a laissé tomber.
J’ai une grande admiration pour M. Arafat, il est sacro -saint pour moi, puisque dans mon esprit l’homme est lié à la lutte des Palestiniens pour la libération de leur Patrie. C’est un leader infatigable et coriace qui poursuit un seul chemin direct pour que les Palestiniens aient droit à leur terre. Sa cause est noble; courageux, il se transforme en globe-trotter pour défendre le droit des enfants palestiniens à leur terre.
M. Arafat a réapparu treize heures après. La joie de le revoir vivant était égale au stress et à l’angoisse qu’a suscité en moi la nouvelle de sa disparition. Avec du recul, je me rends compte combien le sort des tiers-mondistes est limité et fragile. Une cause, une lutte est rattachée à un seul homme. Un mortel. Nous sommes musulmans et nous sommes convaincus que seul Dieu est éternel. Comment cela se fait donc qu’un seul homme qui cristallise sur lui tant d’espérances, est investi par son peuple d’un pouvoir occulte? C’est bien Pascal qui feignait de s’étonner: «Comment a-t -il pu mourir, ce mortel». M. Arafat étant un simple mortel, il est destiné comme vous et moi, à partir un jour.
L’erreur du Tiers Monde c’est de continuer à ignorer le travail d’équipe. Les seconds ne doivent l’être qu’en titre, mais à mon avis ils doivent être aussi dynamiques, aussi efficaces, aussi bien formés et informés que le leader. Jamais de vide, car la noble cause appartient à tout un chacun.
En Occident, il y a une formule très ancienne: sur le champ, dès que le Roi rend le dernier souffle, on annonce au peuple et à la cour: «Le Roi est mort, vive le Roi». Il s’agit du roi qui succède immédiatement pour qu’il n’y ait aucun troublé social, aucun obstacle à la direction du pays. C’est vrai qu’il y a des conciliabules, des intrigues de Palais, des magouilles en coulisses, mais la pérennité de l’Etat est assurée.
Je me souviens des problèmes qu’a suscité l’éventualité de la succession de Bourguiba: certains se déclaraient “Dauphins”, faisaient courir des rumeurs et en fait vendaient la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ce qui était bizarre c’est qu’ils ne courtisaient pas le peuple pour acquérir des sympathisants et donc récolter pour plus tard des voies aux élections. Ils n’imaginaient le pouvoir que d’en haut pour avoir le peuple à leurs bottes. Etre Président de la République, c’est en fait exercer un métier extrêmement difficile, où l’on n’a pas droit à l’erreur, où les charges sont très lourdes, où l’on doit être informé de tout ce qui se passe dans le pays et hors du pays. On doit assurer la pérennité de l’Etat et la sécurité des citoyens et veiller à les faire manger à leur faim. On a énormément de pouvoirs, et surtout beaucoup de jaloux et de gens mal intentionnés dont il faut se préserver et dont il faut tenir compte. ,
C’est pour cela qu’à mon avis le leader doit former ses successeurs potentiels “à la spartiate”, leur intégrité doit être au-dessus de tout soupçon, ils ne doivent pas être des faibles et s’ils n’ont pas milité sur le terrain, ils devraient être soumis à une formation de sciences politiques. On n’a pas besoin d’énarques qui n’ont pas l’expérience des hommes, les autodidactes sont plus efficaces.
Nul n’est indispensable et chaque pays appartient à ses nationaux. Dans les pays du Tiers monde – et les pays arabes en particulier – celui qui accapare le pouvoir a l’impression d’avoir bénéficié d’un héritage. Vingt ans. Trente ans; ils ne se lassent jamais. Ils sont indélébilement atteints de cette maladie incurable appelée «la fauteuillite». Et si le peuple s’insurge, il est écrasé et réduit au silence.
Les peuples frères, irakien et libyen ont droit à une vie paisible, à la tranquillité, à la dignité, au pain et aux soins. Ils n’ont pas mis une bombe à la Maison Blanche ni à Downstreet ni à l’Elysée. Ils ne sont pas responsables des actes de leurs chefs.
Alors pourquoi massacrer des innocents? L’Occident ignorerait-il le principe universel de la personnalisation des peines, qui énonce que la famille du coupable ne peut être sanctionnée du fait des actes délictueux de ce dernier.
Quand les peuples du Tiers Monde pourront-ils saisir la Cour Internationale de Justice pour désavouer un chef dictateur, ou mauvais gestionnaire, ou carrément aventurier ou pilleur des deniers publics, parce qu’ils en auraient eu marre de recevoir des bombes, de faire des guerres? C’est une utopie, certains diront que l’ingérence est une arme à double tranchant. Il faut déjà savoir de qui cette Cour sera composée. Pour finir, M. Arafat est bien vivant, la baraka est avec lui, nous nous en réjouissons. Mais nous avons senti la terre trembler sous nos pieds, nous qui souhaitons voir les Palestiniens dans leur Patrie. Espérons que ce court épisode réveillera tous les leaders du Tiers Monde, puisque seul Dieu est éternel. Il ne faut pas réfléchir à court terme.