La conférence de l’O.N.U sur la population et le développement, tenue au Caire au début de ce mois, et à laquelle nous a représentés avec beaucoup de grâce de compétence et de talent, madame Nabiha Gueddana, m’a rappelé mon voisinage pendant trois mois d’été avec une famille qui avait une ribambelle d’enfants. Ils étaient cinq ou six et donnaient l’impression d’un escalier mobile; le matin, ils étaient sales comme des cochons; qui puait, qui avait la morve sur la figure, qui était déculotté… à dix heures ils étaient presque corrects; entre dix heures et quinze heures ils étaient charmants puisqu’ils n’étaient plus là, ils partaient à la mer… qui nettoyait tout. La maman était radieuse, avec un ventre redondant qui donnait l’impression d’être encore plus accueillant qu’une auberge. Elle représentait bien la femelle, on ne pouvait pas s’ y tromper; d’ailleurs c’est bien l’impression de bonheur qu’elle veut entretenir auprès de ses voisines: un enfant tous les deux ans, n’est-ce pas une preuve d’amour de son mari; une attestation de fertilité pour elle, et de virilité pour lui qui doit être fier d’aller au café papoter avec les copains, un petit mâle à la main. Elle écoutait 24/24 la radio; les chansons passaient; les conseils de planification des naissances diffusés quotidiennement lui passaient au dessus de la tête. Elle éteignait la radio à l’annonce des informations. Ce type de famille à l’intérieur du pays est courant et classique. Si les gens sont heureux de se reproduire sans produire, c’est bien parce qu’ils sont inconscients des difficultés qu’affronteront leurs progénitures dans pas plus d’une décennie.
Pourquoi aller si loin? Le soir, chez ma voisine, si on tend un peu l’oreille aux jérémiades des bambins, on entend cette phrase, qui revient comme les vagues sur la plage et que les pleurs accompagnent souvent, parfois en solo et parfois en chœur: «Du lollo pour Lolla» – du «lollo pour Lolla».
Mes voisins n’étaient pas pauvres; intriguée par ce concerto, je décidai d’aller proposer de l’aide à ma voisine. En attendant, je la vis radieuse comme à l’accoutumée, assise en tailleur, sirotant son thé. A son gros sein découvert était suspendu un bébé glouton. Un mioche de moins de deux ans s’agrippait à l’autre; il cherchait à l’éjecter du soutien. Un troisième caressait sa cuisse rose et grasse en suçant son pouce; un quatrième, l’air ombrageux, regardait la scène comme un roi détroné. Jaloux du tout dernier qui se goinfrait du lait de maman, ils reprenaient leur litanie «du lollo pour Lolla» du «lollo pour Lola».
Le lollo n’est pas seulement le lait, c’est l’attention de la maman; c’est son affection; c’est sa disponibilité. C’est la communication par les mots, le sourire, les caresses, le jeu, les pleurs, l’éducation etc… Une maman de cinq ou six enfants, en supposant qu’elle ne travaille pas, qu’elle ait de l’argent, qu’elle ait de l’aide, peut-elle vraiment donner en permanence et sans défaillance aucune, tout ce qu’attendent d’elle les enfants qu’elle a mis sur terre, volontairement ou accidentellement?
Cela me semble très difficile, à moins qu’elle se nie tout droit à l’existence, tout droit à l’épanouissement, tout droit à son époux, tout droit à ses parents, qu’elle se transforme en esclave et qu’elle se complaise en captive. A moins qu’elle renonce à l’instruction. En effet, comment lire un magazine, comment écouter un morceau de musique choisie, comment ébaucher un tableau; comment recevoir et écouter son mari; comment échanger ses opi nions… si on n’ est plus que le sixième ou le cinquième du millionnième désir de ses rejetons. Les enfants grandissent et partent… C’est la loi de la nature… Je suis sûre qu’ils seraient plus heureux à leur retour de retrouver une maman belle et épanouie et encore à l’écoute qu’une maman fripée flétrie, asséchée, même s’ils se sont rassasiés à son jus…
Alors quand les maris se réfugient dans les cafés, dans l’alcool, ou dans les alcôves euphorisantes, les femmes lapines ne doivent en vouloir qu’à elles-mêmes. Souvent, elles arrivent devant le juge du divorce perplexes, en pleurant et reniflant elles se plaignent ou se vantent: «Je ne comprends pas, je lui ai donné six gaillards». Bella Robba. Ils ne sont plus rien que six bouches à nourrir dès que cela tourne au vinaigre.
Que Sa Sainteté le Pape ne soit pas pour la limitation des naissances; on n’a pas de mal à le comprendre. Qui ne risque rien n’a rien, dit l’adage. Pour nous Tunisiens, hommes et femmes, ·nous ne devons jamais renoncer à cette politique qui est notre salut. Limiter les naissances, c’est avoir une meilleure qualité de vie, une meilleure harmonie dans le couple une meilleure gestion de notre budget. Une famille nombreuse dans la misère n’est pas du tout enviable. La liberté de pensée, de mouvement, de la femme passe par le nombre de ses enfants, plus elle en a, et plus elle s’enlise.
La liberté de disposer de son corps, de ménager sa santé, de choisir le moment de sa grossesse donne des enfants désirés, équilibrés et souvent réussis.
La femme tunisienne, convaincue de la Liberté et des principes démocratiques, a une situation très enviable dans le monde arabe et musulman puisque les lois de son pays soutiennent et confirment ses libertés. Mais ne dormons pas sur nos lauriers, les temps sont difficiles.