Quand un professeur de français vous raconte qu’il lui arrive de trouver, dans les devoirs d’adolescents boutonneux, introvertis , se débattant solitaires dans un bouleversement hormonal, des perles telles que : les mots de la famille du mot “femme” sont ” famine, infâme, infamante”; ceux de la famille du mot “homme” sont “homosexuel, homogène, homologue”; ceux de la famille du mot “enfant” sont “infanticide, fantôme” et de conclure, pour le mot “famille”, par “famélique”, je ne sais si cela vous amuse, mais moi je regrette, je ne trouve pas que ce sont “des perles”, je dirais plutôt qu’il y a problème.
En effet, au delà de la crise d’adolescence qui remet en cause le monde des adultes, au-delà du malaise dû à la croissance, il existe chez ces jeunes une déviation pathologique contractée très certainement dans la cellule familiale. Il semble que le bonheur y soit totalement absent, que la mère lessivée soit devenue odieuse, que le père ne corrcspond pas au schéma habituel où attendu du paterfamilias, et que l’enfant ne trouve pas de place au sein de sa famille. Le fantôme, c’est peut-être lui et, en associant enfant ,et infanticide, c’est probablement sa prore mort qu’il souhaite. La faim est plulôt affective.
Certains esprits paresseux, parfois limités, accuseront les nahdhaouis de déformer la mentalité de leurs gosses. C’est trop facile de se décharger sur l’autre et, quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage. Les nahdhaouis, tout comme les sectes de Moon et du Grand Gourou n’entraînent pas les jeunes de force; ce sont les jeunes paumés qui vont vers eux. Les jeunes de différentes classes sociales les rejoignent parce qu’ils ne trouvent pas d’ écoute, d’attention, d’affection, de dialogue, ni à l’école ni dans leur propre famille.
Pères et mères triment toute la journée. Le soir, ils livrent leur fatigue et leur déprime à la boite magique, espèce de dépotoir commun d’où s’exhale un puissant soporifique qui ne laisse aucune chance aux échanges d’idées, à l’éducation . Et l’enfant s’endort frustré. Il n’a vu du père que ce tas avachi devant l’écran; la bouche ouverte, le burnous ou la couverture tombant sous le ventre, les frères et sœurs livrés à eux-mêmes, La mère grincheuse qui termine sa journée de labeur ingrat dans le bruit de la vaisselle, l’œil guettant le repas qui cuit pour le lendemain et l’oreille aux aguets pour entendre le bébé qui doit se réveiller sous peu pour réclamer sa têtée.
Quand, le dimanche, le père et la mère se parlent, c’est pour arrêter leurs comptes: qui construit une cabane, qui construit un palais, qui projette d’acheter une moto ou un bolide… tous au-dessus de leurs moyens.
Hélas, l’ambition dans le Tiers-Monde est toujours matérielle: le couple n’arrive pas à joindre les deux bouts, dans aucun domaine d’ ailleurs, surtout quand la déprime s’en mêle! Les jeunes se sentent d’autant plus abandonnés qu’ils ont tendance à scruter toujours au-delà de l’horizon, à se propulser dans l’avenir. Ils ont beau regarder, ils ne voient rien venir. Par contre les adultes luttent dans le présent et doutent de l’avenir. Aussi les deux âges ont du mal à se réunir.
Alors, quand certains leur promettent un coin de Paradis, quand d’autres leur livrent l’Eden en les amenant à la drogue, quand on cherche à les endoctriner, ils se laissent mener, c’est leur vide qui favorise cela.
Les nahdhaouis ont pensé au lieu de rencontre des jeunes: les mosquées. Elles ne sont plus prévues pour réunir, comme avant, les assoiffés de progrès, de savoir, ni pour organiser la rencontre des idées et la démonstration des découvertes, mais elles se sont transformées en un lieu de réunion pour imams en quête de pouvoir, qui viennent y déverser des propos bilieux et haineux contre le pouvoir en place et mobiliser les mécontents, les jeunes paumés… Les parents se taisent ou disent qu’ils aiment mieux les savoir à la mosquée qu’au bar, un moindre mal croient-ils !
Mais pourquoi ne pas prendre le problème autrement ? Ce sont les lieux de rencontre des jeunes qui manquent en Tunisie: lieux d’expression verbale (théâtre), d’écoute (conservatoire de musique), ateliers de travail manuel en commun, de discussion à bâtons rompus. Cela devrait exister au niveau de chaque quartier. C’est aux responsables d’attirer les jeunes, par la voie du porte-à-porte s’il le faut. Pourquoi y a-t-il deux ou trois mosquées par quartier, alors qu’on n’y voit pas d’école, de dispensaire, de lieu de rencontre des jeunes et de cantine ? La réponse qu’on m’a donnée, n’en déplaise à certains, c’est que les mosquées sont construites grâce à des fonds récoltés auprès de personnes pieuses et d’autres sympathisants des nahdhaouis, sans compter l’aide pernicieuse étrangère.
Il faut être logique : si les citoyens qui optent pour une société civile veulent barrer la route aux nahdhaouis, aux institutions théologiques et à l’accès au pouvoir des imams intransigeants et sanguinaires, il faut qu’ils réclament à l’Etat une meilleure condition de vie du citoyen, une meilleure répartition des biens et une justice sociale, et qu’ils aident l’Etat à remplir la vie des jeunes: l’ennui est aussi un fléau. Le manque de motivation est une catastrophe. Il ne faut pas compter seulement sur l’Etat.
Les pays occidentaux, qui prennent la température de notre démocratie, quand bon leur semble, ne devraient pas s’arrêter à la critique négative; leur ingérence pourrait être positive s’ils aidaient au social. On ne fixe pas la Société en créant des sociétés du type de la loi 72, mais c’est en aidant la jeunesse désorientée qu’ils décourageront les boat-people et les intégristes.
Les islamistes tunisiens sont nos compatriotes, nos frères, et nous n’accepterons jamais qu’ils soient considérés comme des citoyens de seconde zone. Mais quand ils optent pour la voie du sang et du meurtre, pour le totalitarisme, pour l’intolérance et l’Etat théocratique, alors on se considère en état de légitime défense.
Certains ont pu croire qu’avec l’argent on peut tout acheter… Encore faut-il distinguer l’orge du blé.