J’ai préféré ne pas écrire cet article l’été passé pour éviter d’être une rabat joie pour les personnes engagées âmes et bourses dans les aventures rocambolesques qui se déroulent sur les scènes des municipalités de la Capitale de seize à vingt heures. De quoi s’agit-il ? C’est simple, des cérémonies autour de contrats insipides sans couleur et sans odeur dans la bousculade générale, dans la mêlée totale, desquelles se distinguent seulement des robes satinées, des froufrous, des nudités qu’on veut aguichantes ou discrètes, et des chaussures montées sur des dards, et au- dessus de tout cela, vous voyez des visages congestionnés, suants, leurs yeux qui sont sur le point de tourner à la syncope, des bouches où s’accrochent des moues dont on n’arrive pas à saisir si elles retiennent un sanglot de joie, un youyou, ou du dépit.
Deux anges donnent du dos à l’assistance haletante, debout, certaines personnes balancent de gauche à droite et de droite à gauche, pour voir les futurs mariés, pour distinguer quelques parents qui pourraient les reconnaitre et témoigner de leur présence au mariage. Les petits anges ont hâte d’en finir. Les invités? Ils ne sont pas des leurs, ce sont les invités de papa et maman, des tantes qu’on n’a plus vu depuis dix ans; de vieux oncles conviés pour prouver qu’on a une large et grande famille; quelques voisins, quelques amis, quelques parents avec lesquels maman était brouillée et auxquels elle a voulu prouver que son fils (ou sa fille) a décroché le gros lot, la perle rare.
Par une chaleur de 40° à l’ombre, les maquillages dégoulinants rejoignent les larmes de petits garçons et de petites filles emmaillotées dans des robes neuves à rubans, souffrant le martyre dans des chaussures vernies portées pour la première fois. A la sortie d’une des salles, une jeune fille présentant un plateau de dragées, et une dame censée remplacer la mère du marié ou de la mariée, en train de se faire photographier avec leurs progénitures, répètent dans l’anonymat le plus total, “au revoir”, “merci”, “Aïchek”.
Vous vous étonnez tout de même de n’avoir rencontré aucun visage familier, et ahurie vous posez ingénieusement une question bête: “Pardon, est-ce bien le mariage de la famille Untel”.
– “Ah, non, vous répond-on. Il se passe dans la salle d’en face, vous avez juste la rue à traverser”.
Vous y courez. Hélas, c’est un autre mariage, d’autres gens, d’autres candidats à l’enchainement. Vos amis sont partis depuis cinq minutes. Vous râlez, mais ne désespérez pas, vous rejoignez dans la rue des cercles qui s’apprêtent à immortaliser l’évènement par les photos ou par des films vidéos. Vous ne les connaissez pas. Parfois vous avez la chance de tomber sur des amis qui ont oublié de vous inviter, et vous jouez le jeu du grand pardon, de la magnanimité!
Cette foule bigarrée sentant le bonheur grâce au coiffeur, à la couturière, au bijoutier, au parfumeur, est là, debout, pendant des heures sous un soleil torride, certains s’éventent avec un éventail de fortune.
Les parents des mariés qui n’ont d’yeux que pour les futurs époux ne voient rien du ridicule de la situation. La cérémonie est réussie, car la robe de la mariée est très belle et le placement dans telle famille promet de beaux lendemains. Après tout, si la mère du futur époux n’est pas contente, tant pis, c’est trop tard, elle ne peut plus faire ni opposition ni appel: le mariage est conclu! Mais conclu par qui? Quel contrat de mariage? Où est l’officier de l’état civil devant qui les actes deviennent authentiques, celui qui crée le lien juridique entre les époux, celui qui donne légalement le permis de fabriquer des enfants, de s’adonner aux actes sexuels ‘Halel”. “Mais de quoi vous parlez? Ah! le petit bonhomme essoufflé qui court de salle en salle pour marmonner quelques paroles inaudibles qui font sourire l’assistance? Qui la quitte après avoir fait signer deux traits de plume pour la forme, et qui s’en va, en criant: “Au suivant”… et au suivant”. Et qui, le soir venu, s’étale sur son divan, répétant dans un sommeil profond: “Au suivant… et au suivant”, sa femme approche de lui son oreille méfiante, et commence à douter de l’état de son mari.
A mon avis, cette nouvelle mentalité est grave. Le mariage est un acte sérieux, réfléchi et responsable qui a des effets juridiques importants, il est l’une des bases d’une société saine. Faire de l’officier de l’Etat civil la dernière roue de la charrette, mépriser les lois qui régissent l’acte de mariage, et transformer l’évènement juridique en un détail et les robes, les garnitures, les colifichets en élément essentiel, voilà qui dénote de la légèreté et de la non responsabilité de notre époque.
Il est temps que précèdent le mariage quelques documents bilingues, deux ou trois feuillets simples et clairs pour expliquer que derrière le prince charmant et la belle princesse, il y a des droits et des obligations, une conduite de vie, et, en même temps qu’on remet les documents nécessaires pour le mariage, le couple pourrait être convié à un petit entretien.