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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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Qui ne dit mot consent

Posted on 25 April 202125 April 2021 by admin6303

Je n’admets pas que certaines personnes por­tent atteinte à la  popu­larité du Président de la République, et c’est pourquoi j’ai décidé de parler. Cela ne me ressemble pas de nourrir des rancœurs sournoises ni de parler dans les coins.

Un proverbe français  dit qu’il «vaut mieux avoir af­faire au Bon Dieu qu’à ses saints». Je n’en réalisais pas vraiment le sens, étant donné que la religion musulmane ne reconnaît p d’intermédiaire entre l’homme et Dieu. Ce matin, j’en ai compris avec amertume la signification : ce lundi  22 octobre 1990, jour de l’ouverture de l’Année ju­diciaire.

C’est un grand Jour pour les magistrats,  les greffiers, les avocats, les   huissiers­ notaires… enfin tous les servi­teurs de Thémis, qui  se  parent de leurs plus beaux atours pour assister à la ma­jestueuse cérémonie ances­trale qui, plus que partout ailleurs, observent les règles de la tradition. La famille de Thémis s’arrête un instant pour une solennelle intro­spection, reconsidère les actes juridiques de l’année écoulée, émet l’espoir d’une meilleure justice pour l’année à venir. Quelques minutes dé sincéri­té, d’humilité, de solidarité, et un consensus tacite de re­spect de la justice touchent le cœur de tout un chacun. C’est un jour de grande émo­tion, discrète et profonde.

Ce Jour-là, les magistrats sont particulièrement fiers et heureux de   recevoir  leurs hôtes. lis  quittent  leurs airs pompeux, ils sont détendus et souriants. Les greffiers, écrasés toute l’année par les lourdes  responsabilités de leur fonction, la quantité des dossiers et l’agressivité des justiciables, oublient leurs peines et sont fiers de se con­sidérer comme les piliers du Temple de Thémis. Ils savent bien que, sans eux, il s’écroulerait.

Les avocats sont flattés d’être accueillis par les ma­gistrats et ne sont pas moins conscients de représenter les droits de la défense et la li­berté… et rêvent d’éclairer la justice, de défendre la veuve et l’orphelin, et de gagner de l’argent. Les agents de l’ordre judiciaire ont des cos­tumes tout neufs, tout propres. L’air bonhomme, Ils connaissent  tout le monde; ils sont courtois, ce sont des familiers des lieux. Rien ne leur échappe. A l’Intérieur  du  Palais de justice, c’est le jour des accolades, les  échanges de compliments.  C’est  le Jour où on attend le Président de la République pour  lui  glisser des  doléances ou des remerciements,  où  on  lui serre  la main, où on communique avec  lui pendant quelques secondes. A l’extérieur, par le  Boulevard  Bab  Benat  ou celui du  9 Avril,  les écoliers viennent  s’approcher de leur idole, les femmes  voilées cachent une lettre pleine de souffrances et d’espoir, et essaient de la remettre  au Président, celui qui peut fléchir même Thémis.

Enfin  la famille  judiciaire est  honorée de recevoir son hôte;  dès  qu’il  franchit  la porte de  son  temple, il devient sacré, elle  le protège, répond  de sa sécurité car elle représente  Dieu  sur  terre. Elle  représente  la  Légalité. Elle puise sa sécurité dans la confiance et la croyance que les citoyens ont en elle. Ce sont ses remparts inviolables et  jamais  violés.

Ce lundi 22 octobre 1990, Thémis ouvre ses portes à sa grande famille et au Premier magistrat selon la Constitu­tion. Ma robe noire d’avocate à la main, ma carte d’identité dans la poche, je me suis diri­gée, comme chaque année de­puis dix-sept ans, vers le Pa­lais,  comme le firent mon père et mon grand-père, déjà bâtonnier.

Je m’apprêtais donc à en­trer, comme à l’accoutumée, quand un membre du service d’ordre m’arrêta, l’air menaçant et  presque insultant: «J’ai ordre de ne laisser entrer ni  avocats, ni magistrats». J’ai bien tenté de lui expliquer  que  c’était  notre fête,  qu’il   nous  fallait   honorer notre hôte  par notre présence,  que la  cérémonie serait sans nous un non-sens. Il me tourna le do. Je sentais la rage dans mon cœur . Je regardais le Boulevard Bab Benat, Il n’y avait à perte de vue que des policiers en  tenue et en civil.

Seul  le ciel  était bleu  et indifférent,  sans  doute blasé. Mes yeux se sont brouillés, je ne distinguais plus la forme du Palais de Justice. Etait-ce une fête ou  un état de siège ? Les sirènes lugubres des voitures de police fendaient le silences et le ciel, déjà tourmenté par le ronflement  des hélicoptères.

Je fus séquestrée dans mon bureau par un homme en costume   gris   avec un  talkie-walkie à la main,  qui m’interdit de mettre le nez dehors. J’ai   occupé mon temps à écrire ce papier, en regrettant que le Président de la République ne soit pas arrivé juste à ce moment, pour surprendre en flagrant  délit ce saboteur de mes croyances en un avenir serein, en une politique d’ouverture, ce détracteur de mon admiration naissante.

Je sais bien qu’il existe des fanatiques, des détraqués et des malades mentaux, que la sécurité du Président exige de la vigilance -comme c’est le cas de tous les présidents dans le monde entier- mais il y a la manière et le flair !

Déjà, les motards qui escortent les voyages officiels rejettent les automobilistes sur les bas-côtés, avec leur index, sans aucun égard pour le citoyen, et les mots grossiers qui sortent de leur bouche sont plus violents que leurs sirènes.

Je crois que tout le dilemme est là, et les juristes le connaissent bien : faut-il opter pour une baïonnette obéissante ou pour une baïonnette intelligente.

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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