A quelque chose malheur est bon, dit-on. Et la guerre du Golfe marque incontestablement un tournant dans la vie des peuples du Tiers Monde. L’année 1991 n’aura pas été l’année de la peste, du choléra ou du typhus, mais celle d’une calamité plus grande, dont les Tiers Mondistes ont tiré leurs conclusions quant à la mentalité des gouvernants des pays riches.
A partir de là, le citoyen du Tiers Monde demande à ses gouvernants d’être des gouvernants du Tiers Monde. Qu’ils renoncent aux leurres et à la folie des grandeurs ! Qu’ils se défassent entre autres de leur parc automobile évalué à quelques milliards, incompatible avec leur budget national limité et leurs moyens en pétrole ! Qu’ils compriment leur gourmandise, leurs envies et leurs avantages ! Qu’ils arrêtent de pomper les caisses de l’Etat pour construire des basiliques ridicules, en l’honneur du Dieu des Blancs, qui regarde du haut de son piédestal des petits Noirs crever de faim !
Que les gouvernants commencent par donner l’exemple de la simplicité, de l’honnêteté et de l’abnégation ! Qu’ils manifestent leur patriotisme afin que les peuples suivent en toute conviction et spontanément ! La solidarité nationale ne s’édicte pas par des lois, ni ne s’impose par décrets. Alourdir les impôts, sanctionner le gain injustement, pénaliser l’effort, ne peut aboutir qu’au découragement et à la révolte.
Le nouvel ordre international tel que le perçoit le Tiers Monde est un nouveau colonialisme qui s’exprimera en anglais, en allemand et en japonais. Je demande à notre ministre de l’Education et des Sciences ce qu’il attend pour planifier des réformes en conséquence. Certes, nous ne souhaitons pas l’autodafé des livres scolaires qui glorifient les valeurs, la dignité, le courage, le respect de la famille, qui nourrissent l’âme de charité et de crainte de Dieu. Cela doit rester un volet de l’éducation de nos enfants, mais nous exigeons aussi une éducation conforme au nouvel esprit international. Il faut qu’ils parlent bien le langage des nouveaux maîtres du monde, qu’ils connaissent leurs moeurs, qu’ils étudient leur psychologie et qu’ils se préparent à les affronter en l’an 2000, s’ils ne veulent pas être décimés comme les Indiens.
Il ne s’agit plus de tendre la main aux riches, ni de composer avec eux, ni d’imiter leur modèle de société. Tout cela est révolu. Il faut réfléchir sérieusement aux problèmes de survie pour nos enfants. Nous n’avons plus d’illusion sur l’humanisme des maîtres du ciel qui paraissent avoir détrôné Dieu le Père.
En toute franchise, je ne vois pas pourquoi on doit passer en Europe par le truchement de la langue française. Les sciences, la technologie, parlent anglais, allemand et japonais. Qu’on supprime cette langue de nos écoles primaires et qu’on libère ainsi nos petits, qu’on leur facilite pour l’an 2000 l’accès au nouvel ordre international germano-anglo-nippon !
La destruction d’un pays arabe frère devant nos yeux noyés dans l’impuissance ne doit en aucun cas ébranler notre unité retrouvée. En effet notre attachement à notre langue et à notre religion est capital pour notre survie. C’en est même le garant. Certes, notre identitéé africano-carthagino- maghrébo-arabo-musulmanes est très complexe . Pourtant cet amalgame, in compréhensible pour certains, est aussi solide que le roc.
Trente-cinq ans d’indépendance et l’intime conviction relative à l’unité populaire ancrée dans les tréfonds du Tunisien, sa volonté de vivre en paix, sa soif de dignité et de liberté, ont toujours eu raison de toutes les tentatives d’atteinte à sa stabilité et à sa souveraineté. Il y a un consensus populaire profond de modération et de pacifisme chez le Tunisien, qui lui fait considérer la suprématie des nouveaux colonisateurs comme une domination des pauvres par les riches, des faibles par les puissants, selon des lois économiques établies et évidentes. Mais les Tunisiens n’accepteront ja mais de devenir les Nègres des Blancs.
Un confrère -qui n’est pas un frère- s’est approché sournoisement de moi dans la salle des Pas-perdus et, après avoir regardé autour de lui et s’être assuré que nous étions bien seuls, m’a sifflé entre les dents: «Irez vous voir Saddam»? Je refuse de me laisser entraîner sur le terrain des caméléons. Beaucoup de personnes n’ont pas compris qu’ordre était d’abattre l’Irak, avec ou sans Saddam. Voilà maintenant que l’Algérie commence à être placée sans le collimateur; il ne tient qu’aux médias de la classer parmi les premières puissances militaires… et de la flanquer de missiles et d’armes nucléaires… Ajoutez -ce qui est vrai- l’orgueil, la fierté, la bravoure et le courage de ce· peuple, pour donner le feu vert aux largages de bombes…