Ce serait injuste de parler de la famille, en omettant de parler de la pièce théâtrale “Familia”. Elle a eu beaucoup de succès, et depuis une année, il est difficile d’acheter des billets si on ne s’y prend pas à l’avance: Fatma Saïdane et Jalila Baccar excellent! J’ai été à leur rencontre pour leur demander d’ adopter et d’interpréter pour nous “la Mégère apprivoisée” de W. Shakespeare. Elles n’ont pas dit non, mais elles ont ajouté: “les moyens, Maître, qu’on nous donne les moyens”. Eh, oui, qu’on leur donne et qu’on nous donne les moyens d’accéder au théâtre, chaque soir! plutôt que d’importer des chanteurs orientaux qui nous pompent nos devises et qui malheureusement n’aident pas à la créativité! Vu qu’on ne peut plus assister à une soirée musicale sans regretter Ali Riahi , Salah El Khemissi, Saliha, Hédi Jouini et Tabar Gharsa…
Quand M. Mohamed Moncef Boukhris m’a fait l’honneur de m’inviter à assister au colloque sur la famille, au Mechtel, la semaine dernière, je n’ai pas hésité. J’étais curieuse d’apprendre les perspectives nouvelles, les réflexions des uns et des autres sur l’appréhension de cette structure, à six ans de l’an 2.000.
Idem, quand Mme Dorra Mahfoudh, présidente de l’A.F.T.U.R.D, m’a sollicitée ce jour “F’ de la famille, et je remercie Mme Leila Ben Salem, sociologue, pour son exposé, clair, approfondi.
Pourtant, je suis restée sur ma faim! et l’absence d’experts en urbanisme, de promoteurs immobiliers, de fonctionnaires représentant les ministères de l’Equipement, de l’Environnement, de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires Sociales, de la Culture, de l’Enseignement, de l’Information, des municipalités… signifie pour moi que la famille n’a pas encore imposé sa place et son importance dans notre société. En effet, les instances suscitées sont les partenaires et parfois les adversaires de la famille. Il ne peut plus y avoir, à la veille de l’an 2000, la famille dans l’absolu. En effet, ses membres sont interpellés à tout moment, que ce soit en vertu de la loi, au niveau du monde du travail, au niveau de l’instruction … etc… par le monde extérieur, par la modernité, par les relations internationales, par l’émigration, par l’Economie… par les médias… Ignorer cela, c’est ignorer les réalités et l’évolution de notre société.
La période pré-électorale provoque une boulimie de demandes de changements, d’améliorations, et c’est la période où le citoyen espère que ses représentants soient à l’écoute de ses voeux, de ses suggestions. C’est pourquoi j’en profite pour parler des pigeonniers qui se construisent sur les berges du Lac et ailleurs, qui constituent une atteinte à la structure familiale, vont à l’encontre de la sauvegarde de la nature et de la beauté de l’environnement, défient les règles de sécurité des citoyens et méprisent la politique du gouvernement relative à la solidarité, à l’éducation de la jeunesse, le respect de l’enfance, des femmes et du troisième âge.
Je m’explique: il m’arrive d’arrêter ma voiture, une 4 CV d’époque , que nul ne daigne regarder, et j’observe les chantiers. Je me suis amusée à visiter près d’une centaine d’immeubles en finition dans la Capitale. En silence et en vain j’ai cherché les issues de secours en cas d’incendies, les bouches d’incendies. Où sont les espaces verts des maquettes? Où sont les locaux pour activités culturelles ou réunions des familles (bibliothèque, salle de gym, crèches, salons de thé pour femmes au foyer et personnes du 3ème âge). Rien que des espaces voués au commerce: magasins, pizzerias, points de vente de cassettes… sont prévus: le gain et le profit dominent, on ne se préoccupe plus du social. Or, parmi les préoccupations de notre gouvernement, nous trouvons le désir de réorganiser la vie sociale et de donner à chaque tranche d’âge l’opportunité de vivre dans la décence et de provoquer chez les uns et les autres la volonté de participation à la vie communautaire. Des personnes du troisième âge pourraient retrouver plaisir et dynamisme à veiller à la beauté et à l’entretien matériel et moral de la petite cité dans laquelle ils possèderaient un appartement. D’autre part, puisque nous sommes un pays capitaliste par vocation, les jeunes doivent apprendre à défendre leur patrimoine, à le revaloriser et non pas à le détériorer, mais encore faut-il donner l’exemple, et quand le promoteur immobilier livre l’immeuble au milieu d’un terrain vague, il n’est pas étonnant que l’espace environnant soit transformé en une année en décharges malsaines et puantes.
N’y-a-t-il pas un moyen d’imposer la construction d’espaces culturels, l’aménagement d’espaces verts, avant l’obtention de l’autorisation de construction d’immeubles de rapports? (ce serait tellement dommage de rater la construction de la nouvelle ville des Berges du lac, entre autres!). La Municipalité ne pourrait-elle pas exiger des propriétaires des terrains, avant l’octroi du permis de construire, l’engagement pour une harmonie du style, de la couleur, et l’implantation de jardins…?
Mais quel rapport, penserait le lecteur, avec la famille? Mais tout! puisque les membres de la famille sont des êtres humains, contraints de travailler durement pour s’assurer un confort et un niveau de vie décent. Prévoir des crèches, des écoles, des espaces verts, des lieux de réunions sains, dans le quartier, c’est leur épargner, en partie, des soucis, l’angoisse, le stress, et les rendre disponibles à 80%, pour leurs activités professionnelles, c’est également détourner les inactifs des cafés, les jeunes du farniente et des occasions qui feraient d’eux des larrons. Il n’est pas du tout nécessaire de penser au luxe; seule la réalisation compte.
Alors faire des discours sur la famille conjugale, la famille large, l’éclatement de la famille, les limitations des naissances, … le Code du Statut personnel, la famille dans l’Islam, ne répond plus vraiment entièrement à la problématique, à mon avis du moins, cruciale: quels sont les repères de la famille tunisienne embarquée de force en 1956, sur un spoutnik? Sur quelle planète a-t-elle atterri en 1993? Tous les sociologues, juristes, enseignants, éducateurs, médecins, psychiatres, tous les travailleurs sociaux, les responsables de la jeunesse et de la famille, les décideurs, sont indispensables pour une réflexion positive sur la famille tunisienne de l’an 2.000.
Les nostalgiques du mythe “Famille traditionnelle”, soupireraient et diraient: Ma! Che Famiglia? Ce sera une famille tunisienne arabo-musulmane, maghrébine, méditerranéenne, tiers-mondiste, africaine? Et alors, c’est une autre mosaïque! Partir de là pour définir de nouvelles règles de vie, et essayer de maintenir son identité serait sans doute plus positif que de se réfugier dans le passé et faire l’autruche.
Mais, peut-être, est-il d’abord indispensable d’accorder nos violons.