Je dédie cet article aux lecteurs qui m’ont demandé de leur prêter ma plume et d’évoquer pour eux les problèmes que connaît la classe moyenne tunisienne. Je les remercie de leur confiance et j’espère ne pas les décevoir en présentant ainsi leurs préoccupations.
Notre société est, en fait, composée, selon certains, d’opprimés, de sur primés, de sous-primés et de déprimés.
Les opprimés
Les opprimés sont les campagnards, qui vivaient dans leur campagne, sans stress ni angoisses, au niveau zéro, et qui se sont déplacés vers les villes et la Capitale et s’y sont sédentarisés à un niveau inférieur à zéro. Ils y ont perdu leur fierté, leurs traditions et leur équilibre mental ils y ont gagné un permis de séjour occasionnel ou permanent dans les prisons de la ville, ainsi que dans les hôpitaux spécialisés dans les maladies infectieuses ou mentales. Et tout cela «aux frais de la princesse».
Ils ne sont pas originaux, mais se comptent par millions dans le monde entier. Ils trouvent toujours du travail, que ce soit dans le secteur de la mendicité ou celui du vol à la tire; ils peuvent même se perfectionner dans les vols qualifiés ou dans les crimes gratuits ou crapuleux.
Ils ne s’embarrassent pas d’étiquette pour «fêter Bacchus», et un litre d’alcool à brûler agrémenté de n’importe quel colorant peut faire l’affaire. Ils ne sont pas très regardants quant au logis: dormir au bord d’un marécage, sur un tas d’ordures, dans un bidonville ou à la belle étoile, ne trouble pas leur sommeil sans rêves. De toutes façons, ils sont accommodants, on les nomme «les damnés de la terre». La fatalité aidant, ils se vautrent dans la misère et la résignation.
Les sur-primés
Aux antipodes, il y a les sur-primés. Ce sont des gens qui cumulent des salaires, des fonctions, des titres, des primes, des boutiques, des actions bancaires…et des parents. On connaît le cas de personnes projetées aux grades supérieurs par un bon “scud” quand leur moitié se montre bien “patriote”.
Ces sur-primés bénéficient du « tout-à-l’œil», du «prête-moi je te le rendrai un jour…» Les lois, les décrets, sont parfois coupés sur mesure pour eux. Voyez le cas de certains fonctionnaires: quand ils quittent leurs fonctions, ils drainent légalement derrière eux, confortablement et à perpétuité, une somme rondelette pour les dédommager du temps qu’ils ont passé à exercer leur influence.
Les primes qu’ils conservent pèsent trop lourd sur le panier des sousprimés. Pourtant, les sur-primés ne sont pas les plus intelligents, mais ce sont des petits malins, qui nagent dans toutes les eaux et mangent à tous les râteliers. Ils savent tirer parti d’une parenté au 50ème degré, d’une amitié au 100ème degré. Ils sont la mauvaise herbe qui ne meurt jamais.
Les sous-primés …et les déprimés
Les sous-primés qui me demandent de défendre leur cause sont les travailleurs, les utopistes, les intellectuels intègres, tous ceux qui passent leur temps à lutter contre la misère matérielle… Ils espèrent, ils croient, ils rêvent, ils font des projets. Ils constituent la masse des sans-voix. Ils peinent en silence et meurent en sourdine. Leurs joies sont simples. Ils sont les piliers du pays et assurent sa pérennité. C’est la classe moyenne du pays, baromètre de sa santé et de sa solidité… classe tampon entre riches et pauvres, élément équilibrant qui évite l’affrontement entre favorisés et défavorisés.
Leurs prétentions sont raisonnables. Qui sont-ils au juste? Quelles sont leurs aspirations? Ce sont ceux qui vendent leur dernière chemise pour se faire soigner correctement dans une petite clinique afin d’échapper à l’hôpital, qui s’endettent pour donner une bonne éducation et une bonne instruction à leurs enfants et pour les nourrir correctement. Courageux, ils soignent leur apparence, sauvegardent leurs valeurs, luttent pour joindre les deux bouts mais parfois ils s’essoufflent et tombent dans la classe des déprimés.
Ils traînent alors leurs états d’âme…
Les bombes lacrymogènes, les jets de pierre, les flaques d’eau, les injustices ne les émeuvent plus. Incapables de continuer la lutte, ils végètent. L’oeil vide, la bouche amère, ils regardent passer la Mercédès immatriculée à l’étranger et conduite par un sous magnat de la drogue; celle du fils à papa, immatriculée à Tunis au triple de son prix, et dont ni l’ancienneté dans le travail ni dans la vie ne justifie la légitime acquisition. ,
Ces déprimés ne croient plus à rien; ils médisent, ils jalousent, ils envient: ils forment la masse facilement drainable dans une révolte, dans une révolution. Influençables, n’ayant plus grand chose à perdre… ni à gagner, ils sont prêts à suivre… surtout les extrémistes.
Le rôle du Pouvoir
Le Pouvoir a tout intérêt à s’intéresser à cette classe moyenne des sous-primés. Il doit rétablir la justice sociale, soutenir, encourager et développer la classe moyenne, la renforcer, l’aider à se maintenir, à se structurer, voire à décoller.
Les sous-primés sont négligés par les responsables qui, au lieu, de leur construire des bibliothèques, des maisons de culture, des salles de sport, des cinémas, des parcs de verdure, des dispensaires, des cantines… investissent des sommes colossales dans la construction de mosquées, sous la pression des islamistes, pour les contenter et les contenir.
Celle classe moyenne, écrasée par l’attitude des riches, a besoin d’écoles privées pour un enseignement correct, de cliniques pour des soins décents, de facultés payantes qui ne soient pas un champ de bataille en grève permanente. Elle ne veut être ni assistée ni sacrifiée, et le combat Pouvoir Opposition la laisse froide.
Mais si l’Etat s’intéresse à elle, elle s’intéressera à l’Etat, et pourra être son meilleur allié. Car la classe moyenne n’ a pas d’horizons hors du pays. Contrairement aux riches et aux pauvres, elle n’émigre pas. Ce sont les vrais patriotes. Qu’on leur fasse enfourcher des Scuds et le pays décollera du sous-développement.