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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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Plaidoyer hors prétoire

Posted on 8 May 2021 by admin6303

Je dédie cet article aux lecteurs qui m’ont demandé de leur prêter ma plume et d’évoquer  pour eux les problèmes que connaît la classe moyenne tunisienne. Je les remercie de leur confiance et j’espère ne pas les décevoir en présentant ainsi leurs préoccupations.

Notre société est, en fait, composée, selon certains, d’opprimés, de sur­ primés, de sous-primés et de déprimés.

Les opprimés

Les opprimés sont les campagnards, qui vivaient dans leur campagne, sans stress ni angoisses, au niveau zéro, et qui se sont déplacés vers les villes et la Capitale et s’y sont sédentarisés à un niveau inférieur à zéro. Ils y ont perdu leur fierté, leurs traditions et leur équi­libre mental ils y ont gagné un permis de séjour occasionnel ou permanent dans les prisons de la ville, ainsi que dans les hôpitaux spécialisés dans les maladies infectieuses ou mentales. Et tout cela «aux frais de la princesse».

Ils ne sont pas originaux, mais se comptent par millions dans le monde entier. Ils trouvent toujours du travail, que ce soit dans le secteur de la mendicité ou celui du vol à la tire; ils peu­vent même se perfectionner dans les vols qualifiés ou dans les crimes grat­uits ou crapuleux.

Ils ne s’embarrassent pas d’étiquette pour «fêter Bacchus», et un litre d’alcool à brûler agrémenté de n’importe quel colorant peut faire l’affaire. Ils ne sont pas très regardants quant au logis: dormir au bord d’un marécage, sur un tas d’ordures, dans un bidonville ou à la belle étoile, ne trouble pas leur sommeil sans rêves. De toutes façons, ils sont accommodants, on les nomme «les damnés de la terre». La fatalité aidant, ils se vautrent dans la misère et la résignation.

Les sur-primés

Aux antipodes, il y a les sur-primés. Ce sont des gens qui cumulent des salaires, des  fonctions,  des  titres, des primes, des boutiques, des actions bancaires…et des parents. On connaît le cas de personnes projetées aux grades supérieurs par un bon “scud” quand leur moitié se montre bien “patriote”.

Ces sur-primés bénéficient du « tout-à-l’œil», du «prête-moi   je te le rendrai un jour…» Les lois, les décrets, sont parfois coupés sur mesure pour eux. Voyez le cas de certains fonction­naires: quand ils quittent leurs fonc­tions, ils drainent légalement derrière eux, confortablement et à perpétuité, une somme rondelette pour les dédom­mager du temps qu’ils ont passé à ex­ercer leur influence.

Les primes qu’ils conservent pèsent trop lourd sur  le  panier  des  sous­primés. Pourtant, les sur-primés ne sont pas les plus intelligents, mais ce sont des petits malins, qui nagent dans toutes les eaux et mangent à tous les  râteliers. Ils savent tirer parti d’une parenté au 50ème degré, d’une amitié au 100ème degré. Ils sont la mauvaise herbe qui ne meurt jamais.

Les sous-primés …et les déprimés

Les sous-primés qui me demandent de défendre leur cause sont les travailleurs, les utopistes, les intellectuels intègres, tous ceux qui passent leur temps à lutter contre la misère maté­rielle… Ils espèrent, ils croient, ils rê­vent, ils font des projets. Ils constituent la masse des sans-voix. Ils peinent en silence et meurent en sourdine. Leurs joies sont simples. Ils sont les piliers du pays et assurent sa pérennité. C’est la classe moyenne du pays, baromètre de sa santé et de sa solidité… classe­ tampon entre riches et pauvres, élé­ment équilibrant qui évite l’affrontement entre favorisés et défa­vorisés.

Leurs prétentions sont raisonnables. Qui sont-ils au juste? Quelles sont leurs aspirations? Ce sont ceux qui vendent leur dernière chemise pour se faire soigner correctement dans une petite clinique afin d’échapper à l’hôpital, qui s’endettent pour donner une bonne éducation et une bonne in­struction à leurs enfants et pour les nourrir correctement. Courageux,  ils soignent leur apparence, sauvegardent leurs  valeurs,  luttent pour  joindre les deux bouts mais parfois ils s’essoufflent et tombent dans la classe des déprimés.

Ils traînent alors leurs états d’âme…

Les bombes lacrymogènes, les jets de pierre, les flaques d’eau,  les injustices ne  les  émeuvent  plus.  Incapables  de  continuer la lutte, ils  végètent. L’oeil vide, la bouche amère,  ils  regardent passer la Mercédès immatriculée à l’étranger et conduite par un sous­ magnat de la drogue; celle  du  fils  à papa, immatriculée à Tunis au triple de son prix, et dont ni l’ancienneté dans le travail ni dans la vie ne justifie la légitime acquisition.                                     ,

Ces déprimés ne croient plus à rien; ils médisent, ils jalousent, ils envient: ils forment la masse facilement draina­ble dans une révolte, dans une révolution. Influençables, n’ayant plus grand chose à perdre… ni à gagner, ils sont prêts à suivre… surtout les extrémistes.

Le rôle du Pouvoir

Le   Pouvoir a tout intérêt à s’intéresser à cette classe moyenne des sous-primés. Il doit rétablir la justice sociale,  soutenir,  encourager et développer la classe moyenne, la renforcer, l’aider  à se  maintenir, à se structurer, voire à décoller.

Les  sous-primés  sont  négligés  par les responsables qui, au lieu, de leur construire des bibliothèques, des maisons de culture, des salles de sport, des cinémas, des parcs de verdure, des dispensaires, des cantines…  investissent  des  sommes  colossales  dans  la construction de mosquées, sous la pression des islamistes, pour les con­tenter et les contenir. 

Celle classe moyenne, écrasée par l’attitude des riches, a besoin d’écoles privées pour un enseignement correct, de cliniques pour des soins décents, de facultés payantes qui ne soient pas un champ de bataille en grève  permanente. Elle ne veut être ni assistée ni sacrifiée, et le combat Pouvoir ­ Opposition la laisse froide.

Mais si l’Etat s’intéresse à elle, elle s’intéressera à l’Etat, et pourra être son meilleur allié. Car la classe moyenne  n’ a pas d’horizons hors du pays. Contrairement  aux  riches et aux pauvres, elle n’émigre pas. Ce sont les vrais pa­triotes. Qu’on leur fasse enfourcher des Scuds et le pays décollera  du sous­-développement.

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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