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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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C’est pour la bonne ?

Posted on 9 May 2021 by admin6303

Cette exclamation spontanée et incontrôlée échappa à une de mes clientes, en réaction  au  montant de sa pension alimen aire, décidé par le juge pendant une audience de tentati­ve de conciliation. Le mari, deman­deur, dirigeait une société très renommée et très puissante dans le pays. L.e couple vivait avec leurs enfants dans une très belle villa de la Banlieue Nord avec piscine, court de tennis, quatre voitures dont deux avec chauffeurs, femme de chambre et cuisinière.

Le jeune juge octroya à l’ épouse deux cents dinars par mois, cent dinars par enfant, ils étaient trois, et deux cent cinquante dinars à titre de loyer. Ce qui faisait, en tout, sept cent cinquante dinars. Une somme assez importante (dans l’absolu ). Mais ce n’était pas du tout dans les normes de la dame, qui avait été gâtée par son mari et par la vie, avant qu’une “meilleure amie” rivale ne jette son dévolu sur le conjoint qui n’a pas pu ou n’a pas su résister au démon de midi. Les cadeaux, rivières de diamants, fourrures, roses et parfums, étaient toujours achetés par le galant homme, seulement ils n’étaient plus envoyés à la même destinataire .

Et quand la malheureuse épouse se regardait dans le miroir, celui-ci était plutôt sévère, et lui renvoyait l’image de quelques rides, d ‘un ventre plutôt mou, et des seins sou­mis à la loi de l’ attraction terrestre, sans compter la cellulite qui com­mençait à faire son apparition dans la masse charnelle. Mais le mari savait dérider sa femme, la mère de ses trois beaux enfants, en lui assurant qu’il lui suffisait de considérer sa belle et saine progéniture pour voir, en elle, Vénus. Elle était sa diva, son amour éternel.

Il l’appelait parfois maman, elle l’appelait papa, c’était attendrissant, elle pensait qu’ils vieilliraient ensemble. Mais souvent l’homme refuse de vieillir, la femme aussi, et parfois le bonheur rend aveugle – tout autant que l’amour. Remarquez que l’argent a le pouvoir magique de rendre invisible la calvitie chez les hommes, la bouée graisseuse autour de leur ceinture, et l’ affaissement des fesses sur les talons – ma foi, si le Monsieur est assis au fond d’un e imposante voiture, le téléphone à la main droite, et une main gauche non­chalante, dont s’est évadée innocem­ment l’ alliance, tout est très simple, et tout ce qui est préexistant à la nou­velle rencontre s’évanouit, s’évapo­re.

Le jeune magistrat, auquel je rends hommage pour sa modestie (c’ est une qualité rare chez les per­sonnes jeunes), pour son intelligen­ce, et son désir de comprendre puis de rendre justice, a eu un comporte­ment admirable, parce que rare: Il a estimé simplement que l’affaire le dépassait, car il était seulement recruté depuis  une  année,  qu’il n’était pas marié, qu’il n’ avait jamais eu d’enfants, et que  personnellement il n’ avait  jamais eu  entre les mains sept cent cinquante dinars du même coup, et comme il habitait encore chez ses parents, il n’ a jamais eu de loyer à payer, ni de notes de télépho­ne, d’électricité ou de gaz, et pour le marché, sa mère préfère elle-même choisir ses fruits et ses légumes, c’ est son fief,  son domaine et son  plaisir d’agencer son couffin selon les goûts de chacun des siens. Ainsi, ce magistrat, fort jeune, fort sympathique, soumit le dossier de ce couple au président du tribunal qui continua la tentative de concilia­tion entre les époux. Hélas, le divor­ce fut prononcé, le mari amoureux paya sa liberté et son évasion selon ses moyens : près de cent mille dinars à l’épouse abandonnée, et environ trois mille dinars de pension alimentaire aux enfants et à leur mère et un maintien du standing habituel… Le mari, fort honnête d’ailleurs, accepta le verdict qu’il trouva loyal. Je dois dire qu’en vingt ans de carrière, je n’ai pas rencontré beaucoup de magistrats qui auraient pu avoir le courage de ce jeune juge, par ailleurs très compétent; ils auraient pensé au déni de justice alors que ce n’en est pas le cas du tout. La pension ali­mentaire, dans notre pratique, continue malheureusement à être décidée au pifomètre, à la tête du client, à son aspect vestimentaire, et la décision du juge reste tributaire de la déclara­tion de bonne ou de mauvaise foi que veut bien avancer le conjoint au tri­bunal. Les magistrats, c’est vrai, chargent un expert d’évaluer les biens de l’époux à la demande de l’épouse; c’ est une procédure plutôt longue en matière de pension alimentaire, six mois au  moins; or, il  n’ y a pas de délai pour manger et faire manger ses enfants.

Pourquoi ne pas prévoir une déci­sion à deux paliers? Je m’explique: le juge saisi d’une demande de pen­sion alimentaire rend une décision provisoire, mais exécutoire, qui demeure révisable quand les investi­gations sociales, ou par voie d’experts ou de présentation de documents établiront la situation matérielle des parties. A ce moment­ là, le juge rendra le jugement qui obéit normalement aux règles de procédure   civile   (signification, appel…), le juge tranche la même affaire, mais prend son temps; ce sera plus efficace et plus juste.

Et pourquoi ne pas prévoir, dans la citation à comparaître adressée à l’époux, qu’il doit se présenter muni d’ une justification des ressources, ou d’un quitus fiscal récent. Il ne s’agit pas de trancher rapidement les affaires au tribunal. La justice doit être juste et pour qu’elle soit juste, il faut qu’elle soit éclairée.

Je reste convaincue que les lois ne sont vraies que si elles émanent de la pratique et du social.

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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