C’est la pensée qui a été inspirée à Musset après qu’il eut assisté à une comédie raillant les comportement des Hommes.
Vendredi soir, j’ai assisté au Teatro, à El Mechtel (publicité gratuite) à une représentation en solo de Fellag. Quels qualificatifs vais-je lui attribuer? c’est tellement nouveau chez nous! Disons d’abord que c’est un artiste car il donne beaucoup de lui-même, il improvise, il remplit la scène. C’est un parolier et chaque mot qu’il prononce accroche notre acquiescement puisqu’il décrit simplement le réel, si triste, mais aussi magiquement puisqu’il nous amène à en rire, et pendant deux heures, on se tient les côtes, et ça fait du bien, car nous Tunisiens, on s’arrête de rire dès qu’on entame la vie d’adulte. Les charges et les responsabilités sont tellement pesantes que notre rire ressemble parfois à une grimace. Les larmes de rire que soutire Fellag à son auditoire sont d’autant plus précieuses qu’elles se raréfient de plus en plus.
Fellag brosse le tableau de quartiers populeux et populaires d’Alger qui pourraient être ceux de Tunis ou de Naples. D’ailleurs il décrit si bien la vie pleine et vide en même temps de la jeunesse, une jeunesse au chômage, un chômage qui n’est pas vécu comme une plaie ou une tare, plutôt une situation de farniente reposant dont on s’accommode.
Il dénonce les pénuries, la dictature, la croissance démographique, les tortures sur un ton si badin que, sur le moment, vous oubliez d’y porter un jugement sévère, même si vous ne pouvez vous empêcher de songer que Fellag n’est pas l’enfant (et non le fils) de l’Algérie seulement, il appartient à tout le Maghreb et au Tiers Monde.
La salle était comble, l’auditoire était composé de Tunisiens et de “Tchitchi”, il paraît que c’est comme cela qu’on appelle les bourgeois Algériens (selon Fellag).
Ce qui fait surtout plaisir quand on a écouté Fellag, c’est qu’il nous rapporte l’information de peuple à peuple, vraie, nature, affranchie de “l’officiel” où tout va bien toujours dans le meilleur des mondes possibles. Nous avons le sentiment d’être respectés puisqu’il nous sert la vérité, celle que nous vivons et que les médias officiels du Tiers-Monde démentent et maquillent alors que nous la voyons à l’oeil nu, que nous la vivons et nous la palpons.
L’autre impression agréable, c’est que nous sentons la franchise et l’humilité de I’Algérien qui reconnaît et critique les vices de sa société. L’Algérien se regarde, se considère, se critique et donc s’améliore.
Je connais un pays où les gens pensent qu’ils sont les meilleurs, les plus fins, les plus intelligents, ils sont comme les coqs les pieds dans la merdouille et le cocorico lancé au ciel. A peine un petit tartempion se constitue une place à la télé, dans la radio ou à un journal qu’il se croit descendu de la cuisse de Jupiter. Il prend des airs! alors qu’il est souvent une bulle d’air. D’ailleurs certains font souvent une apparition éphémère heureusement, car leur humour est si lourd si grotesque, si triste…
Revenons à Fellag. Il n’est pas Arabe, il est Kabyle, il est musulman et Algérien, on lui a appris à parler l’arabe. Son vocabulaire n’est pas riche d’ailleurs, il utilise les mots qu’il faut pour toucher l’imagination, il y vient, et d’ailleurs je trouve tellement bêtes et tristes les personnes qui débitent en arabe littéraire des tirades, ménageant la syntaxe en oubliant d’inclure le thème, cela sonne si creux! Ils utilisent la beauté de la langue arabe pour intimider le pauvre citoyen. En France, il y a quelque siècles c’était la même chose, les hommes de loi et les médecins parlaient et écrivaient en latin pour maintenir les plaideurs dans l’ignorance.
Le choix de la salle, au Mechtel, le prix de la place (cinq dinars, et trois dinars pour les jeunes en semaine) peut-il nous laisser croire que l’intention est de toucher une élite? Ce serait dommage, car il serait souhaitable que les jeunes du peuple, les étudiants, les élèves puissent l’écouter, car c’est une illustration de la démocratie que de se permettre de critiquer soi-même et les autres dans les limites de la décence et de la correction. La Municipalité de Tunis pourrait peut-être faire un effort pour lui accorder une représentation au Théâtre, et Fellag pourrait peut-être faire l’effort d’une représentation à moitié prix afin de toucher plus de jeunes. Ce sont les peuples qui feront l’UMA et non les gouvernements.
“Babour Australia”, “S.O.S Iebess” et plusieurs autres sketchs nous poussent à rire, puis à nous poser des questions. Ce ne sont pas les tables rondes rasoirs des “ulémas” qui rapprochent nos peuples.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Fellag I’Algérien nous donne une leçon de démocratie. La démocratie n’est pas l’anarchie et le voyourisme; ce n’est pas l’attaque de la vie privée des gens sans frein ni mesure. Le barreau de Tunisie a été estomaqué en lisant des déclarations perverses, pernicieuse et crasseuses sur l’activité sexuelle d’un avocat dans son cabinet. Il faut croire que les voyeurs ne sont..pas tous sous les verrous.
Après tout, le Conseil de l’Ordre des avocats existe, idem une procédure légale pour accuser les avocats véreux ou vicieux. Un conseil de discipline peut prononcer des sanctions, jusqu’à la radiation définitive, et puis il y a le Parquet ouvert à tous les plaignants…