Quand je me rendis la première fois à Vienne, à peine je déposai mes valises à l’hôtel, je partis à la recherche du fleuve immortalisé par Johann II Strauss, par sa musique sublime et ses valses enivrantes qui firent et feront danser éternellement les êtres raffinés. Combien de fois, vautrée au fond d’un fauteuil mœlleux, ne me suis-je laissée bercer par ces air romantiques qui, croit-on pouvoir affirmer, sont un remède contre la barbarie. Combien de fois n’ai-je pas rêvé au “bleu” et à la beauté de ce Danube? Etait-il aussi azur que la Mer Méditerranée? Aussi bleu que notre ciel d’été? Combien de belles jeunes filles lui ont-elles confié leurs amours, leurs battements de cœur? Combien d’amoureux y ont-ils formulé des vœux? Combien de beaux jeunes hommes y ont -ils laissé couler des larmes chaudes et furtives?
J’avais hâte de me trouver sur les berges du “beau Danube bleu”, de contempler la limpidité et la transparence de ses ondes, d’en écouter les murmures et le ruissellement, contant sans doute des histoires d’amour passionnantes. Mais quelle fut ma désillusion lorsque je rencontrai, par hasard, le Danube, ni beau , ni bleu, ni clair, ni transparent, ni limpide, ni conforme à l’image que je m’en faisais.
Fort heureusement , j’avais en mémoire la chanson du célèbre compositeur arabe, Férid El Atrach, “Leyali El Ouns fi Vienna”, et j’ai pu moi-même constater la beauté de la Capitale autrichienne, ses monuments historiques d’une immense majesté, le Palais Schonbrunn, l’Ecole espagnole d’équitation, le Palais d’hiver.. . et le refuge de Mayerling… J’ai eu à m’émerveiller à l’Opéra où j’ai vibré en contemplant l’opéra-ballet de Mozart “l’enlèvement au sérail…”.
Tout cela contribua, en y ajoutant, l’ amabilité des gens de la Capitale, à me laisser les plus beaux souvenirs d’un voyage à l’étranger. Mais la désillusion provoquée par le beau Danube bleu, cet imposteur du XXème siècle, continue de persister. Alors, quand on m’a demandé si j’avais l’intention de participer au Congrès de Vienne sur les Droits de l’Homme, j’ai redouté l’imposture, probablement injustifiée, en tous cas en mon for intérieur, il manquait l’intime conviction. Que signifient au juste les Droits de l’Homme? Sont-ils les mêmes pour tous? Blancs et Noirs, riches et pauvres, puissants et faibles, cheveux lisses et yeux bleus, teint basané et cheveux crépus? Ventres pleins, ventres creux? Dans des pays où l’on ne peut plus ouvrir la bouche que pour briller, où l’on ne peut prendre la plume que pour nettoyer ses ongles, où l’on n’entend plus que “Rompez! Rampez!”, où il vaut mieux regarder ailleurs et se mettre un sparadrap sur les lèvres, Que faire? Que dire? Qui soutenir à Vienne?
Les atrocités commises à Mogadiscio et en ex-Yougoslavie, au Koweit et en Irak… au Cambodge ou en Algérie… Des trafics d’organes, des trafics d’enfants, une corruption mafieuse en Italie, des tribus indiennes désespérées, des boat-people voués aux requins… des populations affamées en Afrique… des femmes violées.. . des libre-penseurs torturés… des personnes émigrées du Tiers-Monde, Maghrébines, Turques… humiliées, brûlées vives et enfin un peuple voué à l’errance depuis un demi-siècle et dont les insoumis sont nommés terroristes palestiniens.
La communauté “sélecte” internationale a-t-elle besoin d’ un sauf-conduit, d’un satisfecit, d’un tableau d’honneur, pour s’assurer que le Tiers-Monde l’admire encore, l’estime toujours et lui reconnait sa suprématie et sa magnanimité? La preuve c’est qu’elle pense à nous, avec nous. Je ne veux certainement pas saboter le moral des troupes, mais, à mon niveau, après le fameux ordre inter national qui n’a rien ordonné du tout, au contraire, j’ai le droit d’être quelque peu sceptique sur l’application des résolutions nobles et humanistes. Mais il faut tout tenter pour le bien de l’Humanité, j’en suis convaincue. ·
La Tunisie est le pays où l’on respecte les Droits de l’Homme! N’en déplaise à Amnesty International – j’aurai besoin de ma liberté d’expression pour le lui signifier. Mais cela est une autre histoire. Je ne sais pourquoi j’apprécie l’expression “Human rights”, elle me semble chargée d’une connotation humaine, naturelle, en plus des impératifs juridiques … En toute sincérité, je pense que les Tunisiens n’ont pas à se plaindre d’atteinte aux principes des Droits de l’Homme, mais je crois qu’ils aspirent surtout à la reconnaissance et à l’affirmation des droits civiques qui devront réaliser dans un futur proche la démocratie pour tous. Autrement dit, ils ont le pain, ils réclament les brioches. Mais le pain peut moisir ou tout simplement manquer, si on n’y prend pas garde. En matière de Droit, rien n’est jamais définitif dans le Tiers-Monde. Bonne chance aux hommes et aux femmes de bonne volonté qui ont pris la direction de Vienne, la direction de l’espoir. A notre niveau, prions le ciel de trouver chaque semaine notre journal favori, au kiosque..