M. Ahjouri désigne à la vindicte publique le professeur Mohamed Charfi, du bout de sa plume, comme un indicateur désigne un truand du bout de son doigt, et le soin est laissé aux autres d’achever le sale boulot. . . Quel bon apôtre ! Les sentiments que j’éprouve pour M. Charfi sont un mélange de respect qu’un élève voue pour l’éternité à son maître· (je n’y peux rien , tradition oblige) et de reconnaissance: aussi paradoxal que cela puisse paraître, il m’ avait collé pour un demi-point : je l’aurais bouffé cru sur l’heure avec la volupté de mes vingt-cinq ans ! Mais ce demi-point me fut une leçon pour la vie : il fallait apprendre à être prête à l’heure. J’appris aussi que les examens avec leurs angoisses abominables sont non seulement une vérification du savoir, mais surtout des épreuves à dépasser dans notre vie quotidienne.
Ainsi, il serait accusé d’être « un collabo » de l’ancien régime. C’est une mode décidément que de traiter les autres de collaborateurs. Cela sent la délation importée sur un tapis persan ! Cela me donne froid au dos.
M . Charfi est « dénoncé » comme étant un laïque je cours ouvrir mon dictionnaire pour connaître la définition de ce mot : « Qui n’ appartient pas au clergé ». Ainsi , il est accusé de n’être pas un ayatollah tunisien ! Il ne formera pas en tant que ministre de l’Education nationale des petits pasdarans, cachetés en Barbarie, plus fanatisés que les originaux.
Voilà donc les chefs d’accusation : M. Charfi est l’homme à abattre, la fin justifie les moyens. Il serait « le vassal de l’Occident, l’ennemi de l’identité arabo-musulmane», c’est curieux ! Ce langage nous l’avons dé jà entendu dans la bouche d’individus célèbres à profil mental paranoïaque. « Parole… Parole… » dit la chanson. Seulement, ces paroles, cette fois nous ne pouvons pas les laisser passer, elles nous concernent directement, elles nous menacent personnellement, nous les laïques, taxés bientôt d’hérétiques, et prochainement voués aux bûchers.
Il fut un temps où innocemment les laïques ont cru que seule la personne de Bourguiba était visée (et non pas ce qu’il représentait aux yeux des intégristes) et qu’il s’agissait d’une lutte d’une classe opprimée contre l’aveuglement d’un despote. Maintenant que les masques sont tombés, ils réalisent le danger qui menace nos principes fondamentaux de société. lis montrent leur détermination à prêter main-forte à l’Etat pour décoder « leurs chants et sirènes ».
Les motions de soutien à M. Charfi ne sont que les prémices d’une vaste prise de conscience de la majorité silencieuse à se mobiliser pour la paix du pays. A propos, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un torchon qui veut transformer le pays en torches ! Il est signé « Hezb Ettahrir » et fort curieusement il défend comme M. Ahjouri l’identité arabo-musulmane ; certes les termes y sont très virulents pour ceux qui ont un comportement non conforme à la Chariâ et au Coran ; il bannit les capitalistes et les laïques, il appelle à l’insurrection contre les ennemis de Dieu.
Sans doute, répondra-t-on que cela n’engage que les « fantômes ».
Mais qu’on se mette à ma place, moi qui suis musulmane convaincue, qui suis arabo-carthagino-maghrébo-africaine, qui suis laïque, d’après la définition du Larousse puisque je n’appartiens à aucun clergé, qui suis agressée par des torchons enflammés, n’ai-je pas raison de craindre pour mes principes et de la défendre ?
J’ignore les différends qui opposent M. Ahjouri à M. Charfi. S’ils sont personnels il ne me semble pas sain qu’on les exploite, dans n’importe quel sens.
Etre laïque, c’est une chose, être hérétique en est une autre: il faut que cela soit clair pour tous. De même qu’être nationaliste arabe doit être compris différemment que d’être intégriste orthodoxe.
Mon Dieu, comme nous n’avons pas besoin de ces problèmes ! Notre crise économique n’est-elle pas suffisante pour nous inquiéter ! Pour nous mobiliser.
Nous voulons du pain, du travail pour tous, de la liberté aussi ! Mais pas de l’anarchie !!