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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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Le Procureur de la République : cet inconnu

Posted on 19 May 202123 May 2021 by admin6303

Cela fait longtemps que je ré­ prime le désir d’écrire un  article sur le parquet de  Tunis.  Mettre mes mains dans l’antre du lion et lui tirer les moustaches me parais­ sait relever de la témérité, surtout pour une mère de famille. Sans compter que la plume d’un procu­ reur de la République est plus per­ suasive et plus fulgurante que celle d’une journaliste.

Tout compte fait, passer l’été à l’ombre n’est pas si dramatique, et on peut même acquérir un com­plément de formation. D’ailleurs les dés sont jetés : on y va ! Mais voici que ma main se met à trem­bler, sans doute à la probabilité de porter un bracelet en acier. Elle se transforme en éventail.

– Mais, tu trembles, carcasse ? m’exclamé-je à son  intention  !  tu ne me fais  donc  plus  confiance  ? ne sommes-nous pas en Démocratie ? et la liberté d’opinion ? et la liberté d’ex pression, alors ?  Je comprends, tu  te demandes ce que je vais encore sortir cette fois  ! Mais, la vérité, toute la vérité, rien que  la vérité  ! comme toujours !

Les questions que je me pose sont les suivantes  : Qui  se  plaint au Procureur ? Qui se plaint du Procureur ? Qui plaint le  Procu­reur ?

Qui se plaint  au Procureur de la République ? Vous pouvez vous en étonner mais la réponse est,  tout  le  monde  ou   presque  :   les femmes  battues,  les  femmes qui se battent ; les victimes des voleurs, les voleurs des victimes : les pères des fils, les fils des pères ; les mè­res célibataires, les mères des céli­bataires ; les personnes bafouées ou qui croient l’être ; les  forts pour écraser les faibles, les faibles pour se prémunir des forts ; même l’État y passe.

La jungle sociale est le champ d’action du Procureur. Il est aussi étendu que l’imagination humaine, que la perversion primaire ou raffi­née, que la naïveté des uns et les fourberies des autres.

Les plaintes déposées quoti­diennement au parquet, première plainte ou dixième rappel du mois de la même plainte, sont de l’ordre de cent par matinée.

Il faut dire que c’est un service où les prestations sont gratuites. Il suffit d’être sorti de l’analphabé­tisme pour pouvoir  y  accéder. Elles coûtent un dinar chez ]’écri­vain du Boulevard du Palais, assis face à une caisse en bois en guise de bureau et ayant pour tout baga­ge une machine à écrire et des feuilles.

Les plaintes font du chemin au parquet, elles sont lues,  enregis­trées triées, dirigées sur  les postes de police et là elles sont vouées au repos qui peut atteindre  la  décen­nie et pour cause : la plupart du temps les plaintes  sont  déposées sans adresses exactes,  sans  date, sans  inscription  complète   des noms, seuls les faits sont relatés ci­tant des témoins anonymes : « l’ar­rière cousine de  ma  voisine  venue de Jendouba  en  visite… »

La machine judiciaire se déc­lenche, tourne, tourne, tourne, souvent sans consistance, à fonds perdus, à temps perdus, à peine perdue. Il arrive que les plaignants se réconcilient entre temps,  meu­rent ou s’oublient. Mais il  y a aus­si les paranoïaques des tribunaux qui y élisent domicile et  circulent au  pas de toutes les procédures ! Il y a les plaintes qui viennent de prison, celles d’outre-mer et celles d’outre-tombe.     ‘           -;

Tel   est  le  lot  du  Procureur de la République, défenseur de l’ordre  social selon  la loi,  et l’homme le plus agressé scripturalement, il s’entend, par une société tiers­ mondiste, énervée par un mal exis­tentiel.

Qui se plaint  du  Procureur  de la République ? précisons que la conscience populaire assimile ce dernier au  parquet.  Effectivement la loi veut que le  parquet  consti­tué de plusieurs substituts et à leur tête le procureur soit un  et  in­divisible. Mais avant d’aller plus loin,  essayons  de  situer  le procureur de la République. Qui est-il ? C’est un mortel que les gens occultent, ils l’imaginent  Homme-Dieu, ils le chargent de tous leurs fantasmes  ; il est leur  justicier  ; il  est leur  vengeur  ; il est leur protecteur il doit tout deviner, tout compren­dre, tout écouter… Ce qui fait qu’on ne se plaint pas du Procu­reur , car cela amènerait l’individu à se renier lui-même, il devra soit renoncer à se défendre soit se ré­soudre à se faire justice, soi-même. Alors on accuse les flics, les ri­poux, les corrompus, les corrup­teurs, les lenteurs estimées volon­taires des enquêtes, on invente des liens de parenté, des connivences… Les voies du parquet étant pas­santes, elles conduisent devant les juges d’instruction ou devant les chambres        correctionnelles, et quand une affaire est classée pour insuffisance de preuve, il est per­mis à l’initiative privée de deman­der la réouverture de l’enquête. Ainsi le Procureur n’est pas exposé aux rancœurs. Il a la chance de sif­fler le coup d’envoi,  il ne parait pas par la suite, puisqu’il ne rend pas de jugement .. Il se tient à l’ombre du cabinet d’instruction, mais une ombre qui plane en per­manence.

Le greffe qu’il supervise pour­rait se plaindre  du  Procureur,  tant on a des raisons de dénigrer le chef surtout quand il dérange en exi­geant, l’ordre, l’honnêteté et la ponctualité.

Qui plaint le Procureur de la République ? presque personne ! On ne plaint  pas  Dieu-le  père.  Il est supposé tout puissant, alors il doit pouvoir tout régler, tout so­lutionner c’est une sorte de magi­cien des rues, des foyers, du jour, de la nuit, du passé, du présent. Après tout n’a-t-il pas à ses or­dres les officiers de police ?! Il est supposé être la pieuvre à mille mil­lions de tentacules. Il n’a qu’à être à la hauteur de sa tâche.

Et pourtant si l’on observe de près une journée du Procureur de la République on réaliserait qu’il est  non seulement  agressé  par les écrits, mais aussi par les visites continues des citoyens, des avocats, des inspecteurs de police, des auxiliaires de justice… le  téléphone n’arrête  pas de  l ‘interrompre, ce sont tantôt ses supérieurs hié­rarchiques, tantôt les chefs de pos­tes, les personnes influentes.. Ainsi sa journée de travail doit s’étirer in­définiment et se multiplier par N secondes à la minute… car il  faut bien  qu’il se ménage du temps pour travailler.

De plus un procureur doit sa­voir repousser les interventions à menaces camouflées avec diploma­tie, sourire et doigté.  Il n’est  pas sûr  de  ne  pas déplaire, on pourrait s’en souvenir à l’ occasion d’un conseil supérieur de la magistrature, la vengeance est un plat qui se mange froid. Le Procureur doit s’arranger pour ne pas courroucer le  Ministère  de  l’intérieur, il mar­che plutôt sur une corde raide, à chacun ses plate-bandes …

Le Procureur de la République est un être aussi puissant que vulnérable. En effet la loi lui accor­de beaucoup de pouvoirs mais la pratique peut le réduire à néant  :

Prenez l ‘hypothèse où il est se­condé par des substituts bleus, un greffe  indolent,  une police irres­ponsable, un effectif  insuffisant, ajouter un millier de plaintes  par mois  et il ne sera plus qu’un figu­rant sur une galère voguant à la dé­rive.

A mon avis  dans  l’état actuel des  choses dans   notre   pays,  seul un   ordinateur  super-puissant mis à la disposition du parquet et des plaignants, pour enregistrer leurs plaintes et en superviser  le suivi jusqu’à l’achèvement total de la procédure, sera  efficace.

Cet ordinateur fera d’une part gagner du temps et  donc de l’ar­gent et organisera la justice pénale, mais et  surtout il préservera la la compétence, l’intelligence, la for­ce de travail,  la rapidité des décisions et l’énergie  du  Procureur et des substituts qui se consacreront aux affaires graves et  sérieuses.

Le Procureur tiendra alors tou­te la capitale dans la paume de la main.

Si l’on constate l’existence de la gabegie héritée de longue date, on doit savoir qu’elle est due à la paraly­sie qu’a connu le Ministère de la Justice durant  des  décennies  et  à  sa soumission à l’exécutif (la soif des privilèges) d’une part, et d’autre part à  la  croissance démographi­que incontrôlée dans la capitale, à l’exode rural commencé après l’expérience malheureuse de la col­lectivisation.

Actuellement il a été décidé d’instituer trois petits tribunaux de 1ère instance : Ariana, Ben Arous, Tunis. Souhaitons que cela arrangera la situation et n’engen­drera pas  trois «petits» procureurs .

Je reste convaincue qu’on doit en plus, éduquer la population : la capitale doit survivre et si l’on n’est pas capable de respecter ses normes, si on n’y vient pas pour gagner son pain, il faut  savoir qu’on n’y a pas de place.

Il ne s’agit pas de remplir les prisons ni de créer du gibier de po­tence. Ce sont des attitudes  stér­iles, mieux vaut prévenir le mal. Les amnisties et les remises de peine en droit commun ne sont que des reports de problèmes et non des solutions.

En fait nul n’est censé ignorer la loi, le citoyen devrait être pré­venu avant le dépôt de toute plain­te qu’il risque une amende s’il manque de sérieux et qu’il s’arrête une seconde…  pour réfléchir.

A mon sens les plaintes dépo­sées  doivent  être  vérifiées  sur le champ quant à l’inscription des noms et des adresses afin qu’elles n’aillent pas encombrer vainement les  locaux  de police.

Par ailleurs, quel mal  y  aurait-il de la faire payer un dinar qui se­rait destiné à un fonds de  réinser­tion sociale des  prisonniers libérés.

N’ importe qui, selon la loi, peut mettre en branle la machine judiciaire,  mais  une  absence  de  civisme fait qu’on en abuse tellement qu’elle est    sur le point de s’arrêter.

Il faut savoir que le Procureur de la République assume d’autres tâches très importantes : la forma­tion des substituts pour le côté pratique, déplacement sur les lieux du crime, constatations… Il doit avoir l’œil et le bon sur les prisons où il loge les prévenus arrêtés. Il doit être omniprésent au  tribunal et veiller à la tranquillité et à la sé­curité par agents de police, inter­posés, bien  sûr. Il doit superviser la bonne marche administrative du Palais etc …

Il doit… Il doit…

Or, le Procureur de la Républi­que sollicité partout et par tous, ne peut pas donner plus qu’il ne possède (c’est le cas de tous les mortels ) .

Toutefois si nous choisissons de reconnaitre l’importance de l’informatique,  si  nous décidons de nous y mettre et de nous y plier, nous parviendrons  à sauver du marasme la justice en Tunisie ; secundo nous ménagerons la com­pétence des hommes et leur évite­rons d’être entrainés dans les sa­bles mouvants, nous empêcherons qu’ils ne soient écrasés  par  la loi du nombre.

Il ne s’agit pas  de  travailler sans  mesure,  ni  de tourner  à vide ; l’honnêteté et ]’intégrité seules ne suffisent pas non plus – la vie mo­derne a ses exigences et qui n’a­vance pas, régresse.

Au parquet l’adage est le sui­vant, “la plume est serve et la paro­le est libre”.

Voilà que ma main se remet à trembler.

Qu’as-tu carcasse ? aurais-tu peur du Procureur de la  Républi­que  alors  que tu as ta conscience pour toi, et alors que tu essaies de participer à la vie nationale, en proposant  des solutions ?

Non,  je ne crains pas le Procureur  mais certains “lecteurs­ interprètes” qui voudraient déformer mes pensées. Honni soit qui mal y pense.

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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