Une après-midi, je rentrais dans un magasin spécialisé dans la vente d’articles pour animaux, comme il en existe tant en Europe ; j’y trouvais une vendeuse nonchalante, le chewing-gum à la bouche, la tenue désinvolte, grossièrement maquillée, l’air ennuyé, aussi désagréable qu’une porte de prison. Je voulais acheter des grains pour mes colombes mais l’aspect de la dame qui baillait à se décrocher la mâchoire me fit demander inconsciemment une muselière.
Elle me regarda étonnée ; puis me répondit agacée, que cet article a été retiré de la vente depuis plus d’un an et que l’usine qui le fabriquait a fait faillite, qu’il était inutile de chercher ce produit d’une ère révolue sur la place. Ce pendant ajouta-t-elle, si je voulais y mettre le prix, je le trouverai au noir ; certains commerçants le conservent, à toutes fins utiles, spéculant sur la nature agressive de l’être.
La vendeuse qui ne semblait pas avoir inventé la cuillère me conseilla d’acquérir une laisse, ou un mords, ou des rennes, ou une cage ou un aquarium ou à la limite une ceinture de chasteté unisexe, selon l’espèce d’animal que j’élevais. C’était à mon tour d’être stupéfaite ! Mon Dieu, quel effet magique a produit le terme muselière sur cette femme ! A aucun moment elle n’a songé que j’aurais pu m’en servir par exemple pour promener mon chien, simplement par sens civique ! Tout de suite elle a évoqué tous les moyens de coercition, de privation de liberté ! Etait-elle donc conditionnée à ce point par des années de frustration !
J’adressa.s à la vendeuse des compliments sur sa dentition et son élégance, elle se détendit et me donna sur le champ l’adresse du plus fameux vendeur de muselière au noir. Je m’armais de courage et me rendis à l’antre du fauve duquel je n’arrivais pas à me faire une image distincte. Je m’attendais à trouver un homme rusé, l’œil vif, guettant l’événement, mi-guépard, mi-hyène. un hableur opportuniste un loup aux dents longues, visqueux comme un poisson, sifflant comme un serpent, sachant nager en aval comme en amont, ayant mille et un tours dans son sac… je m’apprêtais à affronter le monstre toutes griffes dehors !
Je me trouvais face à un énergumène, affalé sur une paillasse, une espèce de charognard en pleine déprime, qui ressemblait à un caméléon désséché et immobile, seul l’oeil blafard tournait sur son orbite .
j’eus un recul de dégoût ; en fait je n’ai jamais eu de sympathie pour les familles de reptile, ni de près ni de loin. Je n’ai même pas été tentée de l’écraser car on dit qu’ils arrivent à se reconstituer. Je m’apprêtais à partir, quand de sa voix caverneuse, il me rappela :
Madame attendez, je ne suis plus qu’un être agonisant, je me meurs ! d’ailleurs j’aime mieux mourir car je suis ruiné ! On ne peut plus vivre dans ce pays ! Sachez que j’ai passé plus d’une année à fomenter des coups fumants pour dresser les uns contre les autres. j’ai combiné des coups poisseux pour éclabousser les uns et les autres ! j’ai failli réussir et mon crime allait être presque parfait, j’étais presque sûr que mes combines allaient réussir et puis quelque chose, quelque part, a flanché.
Madame je n’ai plus d’espoir ! Les temps ont bien changé ! Au bon vieux temps tout le monde barbotait dans la vase tels des hippopotames, j’étais passé maitre dans la propagation des rumeurs: j’implantais des cornes sur la tête des maris les plus illustres quand bien même ils étaient mariés à des bigotes et je mêlais ces dernières à des orgies; je m’étais spécialisé dans les tobogans et y faisais glisser ceux qui ne me plaisaient pas et la rumeur amplifiait à la demande ! J’ouvrais les portes des prisons pour certains et les refermais sur les autres. C’était de la haute voltige ! Je défaisais des alliances et en construisais d’autres selon le bon gré de ma volonté ! Je mariais certains et je faisais divorcer d’autres ! C’étai l’âge d’or, Madame ! Il suffisait de faire courir des bruits et chacun d ‘affirmer qu’il tenait l’informtion de source sûre !!! C’était follement excitant !!!
Mais c’est diabolique, cela ne vous faisait pas courir de risques ?
Bien sûr que non, Madame, puisque l’information officielle était inexistante et la plupart du temps mensongère, et donc pas crédible, ce qui me permettait de tout envenimer. La confiance ne régnant pas, tout était du domaine du possible, et puis l’avantage c’était que cous ceux qui avaient quelque chose d’intelligent à dire étaient muselés.
Tout cela est fini désormais même Thémis s’est réveillée, elle m’a envoyé sur les roses. Qui aurait dit ? J’ai essayé de titiller son amour propre, pour la première fois elle a répondu qu’elle n’avait pas besoin qu’on la défende et qu’elle savait bien distinguer et juger d’elle-même qui voulait lui nuire. On aura toue entendu Madame !
Et puis ces avocats ! quelle audace ils one déclaré à l’unanimité qu’ils étaient acquis corps et âme à la Patrie, à la Démocratie, aux libertés de l’individu, et au Président de la République. On ne pouvait être plus convaincus de l’ère nouvelle.
Madame je ne supporte pas de vivre dans la clarté et la franchise, j’y suis comme un poisson hors de l’eau, seul le chaos me convient et la clandestinité est mon oxygène.
– Alors Monsieur, dans ce cas, je pense qu’il ne vous reste plus qu’à aller vous faire pendre !
– Ne criez pas victoire trop vite Madame, je ne suis pas le seul sur le place, ma seule more ne résout pas vos problèmes. Cautionnez-vous tous ceux qui siègent de puis la nuit des temps à … ? Je ne prendrai la décision de me trucider qu’au mois d’avril ! En attendant, wait and see !
– Hélas, je dois reconnaitre que vous avez raison, j’admets que la présence de certaines personnes constitue l’obstacle majeur de principe pour la plupart des citoyens qui veulent se rallier au Parti au pouvoir. Mais je vous défie Monsieur, que la race des caméléons sera décimée bientôt, on a déjà marqué un point en abolissant les muselières. Qui vivra verra !