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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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Muselière

Posted on 19 May 2021 by admin6303

Une  après-midi, je rentrais dans un magasin spécialisé dans la vente d’articles pour animaux, comme il en existe tant en Europe ; j’y  trouvais  une vendeuse noncha­lante, le chewing-gum à la bouche, la tenue  désinvolte, grossièrement maquillée, l’air ennuyé, aussi désa­gréable qu’une porte de prison. Je voulais acheter des grains pour mes colombes mais l’aspect de la dame qui baillait à se décrocher la mâchoire me fit demander inconsciemment une muselière.

Elle me regarda étonnée ; puis me répondit agacée, que cet ar­ticle a été retiré de la vente depuis plus d’un an et que l’usine qui le fabriquait a fait faillite, qu’il était inutile de chercher ce produit d’une ère révolue sur la place. Ce­ pendant ajouta-t-elle,  si je voulais y mettre le prix, je le trouverai au noir ; certains commerçants le conservent, à toutes fins utiles, spéculant sur la nature agressive de l’être.

La vendeuse  qui  ne semblait pas avoir inventé la cuillère me conseilla d’acquérir une laisse,  ou un mords,  ou des rennes,  ou une cage ou  un aquarium  ou à la  limi­te une ceinture  de chasteté  unisexe, selon l’espèce d’animal que j’élevais. C’était à mon tour d’être stupéfaite  ! Mon  Dieu, quel effet magique a produit le terme  muselière sur cette femme ! A  aucun moment elle  n’a songé que j’aurais pu m’en servir par exemple pour promener  mon chien,  simplement  par sens civique ! Tout de suite elle a évoqué tous les moyens de  coercition, de privation de liberté ! Etait-elle donc  conditionnée à ce point par  des  années de  frustration  !

J’adressa.s à la vendeuse des compliments  sur  sa  dentition  et son élégance, elle se  détendit  et me donna sur  le  champ  l’adresse du plus fameux vendeur de muse­lière au noir. Je  m’armais de courage et me rendis à l’antre  du  fauve  duquel je n’arrivais pas à me faire une image distincte. Je m’attendais à trouver un homme rusé, l’œil vif, guettant l’événement, mi-guépard, mi-hyène. un hableur opportuniste un  loup  aux  dents  longues,  vis­queux comme un poisson, sifflant comme un serpent,  sachant  nager en aval comme en amont, ayant mille et un tours dans son sac… je m’apprêtais à affronter le monstre toutes  griffes  dehors   !

Je me trouvais face à un éner­gumène, affalé sur une paillasse, une espèce  de charognard en  plei­ne déprime, qui ressemblait à un caméléon désséché et immobile, seul l’oeil blafard tournait sur son orbite .

j’eus un  recul  de dégoût  ;  en fait je n’ai jamais eu de sympathie pour les familles de reptile, ni de près ni de loin. Je n’ai même pas été tentée de l’écraser car on dit qu’ils arrivent à se reconstituer. Je m’apprêtais à partir, quand de sa voix caverneuse, il me rappela :

Madame attendez, je ne suis plus qu’un être agonisant, je me meurs !  d’ailleurs j’aime mieux mourir car je suis ruiné !  On ne peut plus vivre dans ce  pays  ! Sa­chez que j’ai passé  plus  d’une  année à fomenter des coups fumants pour dresser les uns contre les au­tres. j’ai combiné  des coups  poisseux pour éclabousser les uns et les autres ! j’ai failli réussir et mon crime allait être presque parfait, j’étais presque sûr que mes combi­nes allaient  réussir et puis quelque chose, quelque  part, a flanché.

Madame je n’ai plus d’espoir ! Les temps ont bien changé ! Au bon vieux temps tout le monde barbo­tait dans la vase tels des hippopo­tames, j’étais passé maitre dans la propagation des rumeurs: j’implan­tais des cornes sur la tête des maris les  plus  illustres  quand  bien même ils  étaient   mariés  à  des  bigotes et je mêlais ces dernières à des orgies; je m’étais spécialisé dans  les tobogans et y faisais glisser ceux qui ne me plaisaient pas et la rumeur am­plifiait à la demande ! J’ouvrais les portes des  prisons  pour certains   et les refermais sur les autres. C’était de la  haute  voltige  !  Je  défaisais  des alliances et en construisais d’autres  selon le bon gré de  ma vo­lonté ! Je mariais certains et  je fai­sais divorcer d’autres  ! C’étai  l’â­ge d’or, Madame ! Il suffisait de faire courir des bruits et chacun d ‘affirmer qu’il tenait  l’informtion de source sûre !!! C’était follement excitant !!!

Mais  c’est  diabolique, cela ne vous faisait  pas courir de ris­ques ?

Bien sûr que non, Madame, puisque l’information  officielle était inexistante et la plupart  du temps   mensongère,   et  donc  pas crédible,  ce  qui  me permettait de tout envenimer.   La  confiance ne régnant pas, tout était  du  domaine du possible, et  puis  l’avantage c’était que cous ceux qui  avaient quelque chose d’intelligent à dire étaient muselés.

Tout cela est fini désormais même Thémis s’est réveillée, elle m’a envoyé sur les roses.  Qui  au­rait dit ? J’ai essayé de titiller son amour  propre,  pour  la  première fois elle a répondu qu’elle  n’avait  pas besoin qu’on la défende  et qu’elle savait bien distinguer et ju­ger d’elle-même qui voulait lui nui­re.  On aura toue entendu Madame !

Et puis ces avocats ! quelle au­dace ils one déclaré à l’unanimité qu’ils  étaient acquis corps et âme à la  Patrie, à  la  Démocratie, aux libertés de l’individu, et au Prési­dent de la République. On ne pouvait être plus convaincus de l’ère nouvelle.

Madame je ne supporte pas de vivre dans la clarté et la franchise, j’y suis comme un poisson hors de l’eau, seul le chaos me convient et  la  clandestinité est  mon oxygène.

– Alors Monsieur, dans ce cas, je pense qu’il ne vous  reste  plus qu’à  aller  vous faire  pendre !

–   Ne   criez pas victoire  trop vi­te Madame, je ne suis  pas le seul sur le place, ma seule more ne ré­sout pas vos problèmes. Caution­nez-vous tous ceux qui siègent de­ puis la nuit des temps à … ? Je ne prendrai la décision de me trucider qu’au mois d’avril ! En attendant, wait and see !

–    Hélas, je dois reconnaitre que  vous   avez   raison,  j’admets  que la présence de certaines personnes constitue l’obstacle majeur  de principe  pour  la  plupart des cito­yens qui  veulent se rallier au Parti au pouvoir. Mais je vous défie Monsieur, que la race des caméléons   sera  décimée  bientôt,  on a déjà marqué un point en abolissant les muselières. Qui vivra verra !

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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