Il est de coutume de considérer comme bâtards les enfants qui ne connaissent pas leurs origines. On s’ est rendu compte que la société comporte plusieurs type s de bâtards, demi-bâtards et bâtards et demi.
Les familles dissociées par le décès de l’un ou des deux parents, par le divorce, par l’émigration, sont un terrain adéquat et favorable à la création d’enfants perdus sans collier, souvent leur arbre généalogique n’a qu’une seule branche, ou n’en a pas du tout. Le divorce partage le monde et la vie de l’enfant en deux ; famille paternelle, famille maternelle, mais avec le temps et l’abandon, l’une des deux s’éclipse. Les enfants d’un parent décédé ou des deux, se trouvent entourés les jours qui suivent les décès, mais on remarque, que de plus en plus, les liens s’ effilochent avec le temps, avant la première commémoration annuelle du décès du de cujus; les pleureuses accusent le manque de temps.. . et d’ argent – comme si c’était un empêchement dirimant.
Les hommes font aussi des promesses aux enfants en désarroi, les sécurisent sur le champ. Mais ils oublient avec le temps. Les enfants d’émigrés ont des difficultés à admettre, durant quinze jours ou même deux mois de vacances par an ou tous les deux ans, que leurs racines sont dans le pays de leurs parents, eux qui sont habitués à jouer dans les espaces verts sous leur H.L.M. D’ autres catégories de bâtards, quoique le terme de déracinés serait moins dur et peut-être plus approprié, existent partout dans le monde, sous d’ autres formes, d’autres aspects. Les enfants cédés, vendus, ou abandonnés sur les marches de l’église, ou de la mairie, ou de l’hôpital, par des parents poussés par la pauvreté, par des souffrances extrêmes et dont les sanglots, les cris, les paroles sont réprimés, mais dont les yeux et les corps décharnés sont plus éloquents que tous les discours: la requête tacite signifie «Sauvez mon enfant, qu’il vive, il n’ a commis aucun mal». Certains pays d’Asie, d’Amérique du Sud, connaissent ces cas de misère extrême qui est sans aucun doute répandue sur d’ autres continents. Les enfants des boat-people sont projetés par dessus bord ou glissés clandestinement au fond de la cale par leurs parents qui se laissent couler au fond des eaux profondes (leur suicide est commis sous les yeux des autres, comme pour légitimer la place de leur enfant), ces déracinés sont emportés loin sur un autre continent, seuls ou accompagnés d’ un copain de fortune, qui fera d’eux des esclaves au sein d’une bande. Les enfants de Bombay quittant leurs parents à six ans pour s’ adonner à la délinquance et à la drogue ne sont-ils pas une espèce de déracinés; en effet ils sont les enfants de personne. Les enfants de Brasilia assiégeant les rues pleines d’ immondices, infestant les dessous des ponts et couchant dans les canalisations, canardés par les escadrons de la mort, sont ramassés au petit matin tels des chiens errants éliminés par la police municipale, sans noms. Enfin, les enfants de la guerre qui voient pendant des années des obus et des projectiles leur prendre l’ âme de leurs parents, ne leur laissant entre les bras que des corps déchiquetés, des bains de sang et un traumatisme certain – sans compter l’ esprit de vengeance, leurs familles tuées, même sur leurs terres il s demeurent déracinés, paumés.
L’UNICEF en premier lieu et les Associations humanitaires, les Organisations non gouvernementales luttent pour leur survie, leur dignité, et les Droits de l’Enfant ; elles ne désespèrent jamais; leur foi et leur volonté sont inébranlables; je les admire!! Quand on évoque l’état de bâtard, on a souvent tendance à croire qu’il s’ agit essentiellement d’enfants . Mais depuis une décennie, on assiste à l’ apparition d’une autre sorte de bâtardise, c’est le sentiment des gens concernés, c’est leur vécu. Des personnes adultes de nos jours s’interrogent sur leurs origines, sur leurs racines, sur leur identité et n’osent s’imaginer pour eux mêmes, un avenir: Croates, Kurdes, Bosniaques, Serbes, Russes, etc . Les cataclysmes: géographique, historique , politique, sont aussi éprouvants que le traumatisme mental.
Ainsi, les Soviétiques, après deux générations de communisme, de sentiment de suprématie (2ème puissance mondiale) ; après avoir adoré les dieux Lénine et Staline, et sacrifié au stalinisme quelques treize millions de personnes sur les marches de l’autel de la pensée unique et de la barbarie; après avoir supprimé dans le cœur des Soviétiques, Dieu; et appris et répété que les Américains et le capitalisme sont le démon personnifié; après la honte des goulags et les disparitions soudaines, les caravanes vers la Sibérie, voilà que MM. Gorbatchev et Eltsine renversent la vapeur, et demandent au peuple d’oublier le rouge, la faucille, l’étoile et le marteau, de vidanger leurs mémoires: effacer comme un enfant efface son ardoise. Après avoir été pile on devient face, très soudainement. Comme si on pouvait changer de mentalité comme on change de chaussettes!! La démocratie annoncée ne passe pas par la «bâtardisation» de la moitié de la population. Les personnes âgées de soixante-dix ans, de soixante ans, de cinquante ans et de quarante ans, ont besoin de comprendre, de digérer, d’être convaincues, d’admettre les situations nouvelles.
On n’a pas le droit de jeter dans le néant les peuples qu’on a obligés par le feu, par le sang, par l’exil à croire au communisme, à la supériorité matérielle de leur pays; on ne peut pas les contraindre à renoncer à leurs croyances et à proclamer Amen quand on leur dit que l’URSS n’a rien à envier aux pays du Tiers-Monde les plus affamés, que le capitalisme et l’Amérique sont les voies divines. «Il faut laisser le temps au temps». M . Eltsine, grâce à la conscience internationale et à sa sagesse, n’osera jamais imposer à son peuple et à ses parlementaires les principes du capitalisme et de la démocratie par les méthodes staliniennes (du moins, on espère qu’il n’appliquera pas le principe: «La fin justifie les moyens». Si la démocratie est la plus belle valeur politique c’est bien parce qu’elle propose qu’on s’y oppose, et après maintes discussions elle dispose en tenant compte des réfractaires, et des retardataires. Croates, Serbes Bosniaques ne sont pas mieux lotis. Comment déterminer sa nationalité, comment décliner son identité quand on erre de refuge en refuge, d’abri en abri, de ville en ville qui ont oublié le sens de leur appellation.
D’ailleurs, allez donc savoir pourquoi on oppose les termes Serbes et Musulmans, on se croirait en pleine guerre de religions – vous viendrait-il à l’idée d’opposer protestants à Français – (en cas de conflit entre Français et Anglais)?
Le facteur temps est aussi important lorsqu’il s’agit de l’unification de l’Allemagne. Ce fut merveilleux de briser le mur de la honte. Il reste aux Allemands de l’Ouest à considérer ceux de l’Est comme des citoyens à part entière malgré leur faible économie et le système dans lequel ils vivaient; et aux Allemands de l’Est de ne pas nourrir de rancœur.
L’accord israélo-palestinien est certes un évènement heureux pour tous ceux qui aiment la paix et la vie dans la dignité; pourtant, combien, j’aurais aimé en ce mois de septembre vivre l’évènement de la Confédération des Etats Palestinien et Israélien. Tous deux prospères, tous deux stables, tous deux démocratiques. Ah si les Arabes en 1965 avaient écouté le Leader Habib Bourguiba, que de catastrophes auraient été évitées, que de vies, que de souffrances auraient été épargnées et, aujourd’hui, la Palestine n’aurait pas seulement Gaza et Jéricho. Nous en sommes très fiers surtout que le Président Ben Ali a poursuivi la politique de sagesse et de prévoyance et que sur le plan international nous récupérons notre siège. La petite Tunisie est fière d’avoir contribué à ce qui semblait impossible: l’accord de la paix. Là aussi, il faut laisser le temps au temps. Presqu’un demi-siècle de haine réciproque opposant usurpateurs et ayants droit, sans tenir compte de certains aspects négatifs communs à toutes les religions, ne peuvent s’effacer en quelques traits de plume.
En effet, les colons juifs importés cette dernière décennie doivent ressentir de l’amertume, car ils s’aperçoivent que leurs chimères et leurs illusions ont été exploitées et ils ont servi à être la chair à canon ou plutôt à pierres et à armes blanches. Les jeunes Palestiniens ont hérité de leurs pères le serment de libérer la Palestine, toute la Palestine . Leur vie dans la soumission n’avait aucun sens, leur sang sur le champ de l’honneur pour leur Patrie était leur seule raison d’être. Alors, Palestiniens et Israéliens ont le droit d’être en plein désarroi. C’est pour cela qu’on fait appel à tous ceux qui sont pour les Droits de l’Homme à aider les uns et les autres à composer et à sauver l’accord de Paix.
Les citoyens de l’Est de l’Europe déplacés, leurs familles scindées inhumainement par des lois territoriales, en se croisant le matin, s’interrogent: – «Quel est ton nom»? – Mon nom? Mon nom est personne.
– En Algérie, sœur et voisine, les citoyens, paraît-il, se posent ces questions: – «Etes-vous pour le Front de liquidation nationale ou pour les Fils de la haine?». Et les Sages de répondre: «On fait confiance au temps!! on attend… que les ennemis de notre Patrie s’éliminent». Voilà des citoyens heureux qu’on n’ étonnera pas. De l’avis de certains intellectuels sérieux et intégrés, l’Algérie serait en train d’accoucher de la démocratie. C’est une grande Dame très exigeante, elle ne se contente pas de paroles. – En Tunisie, Dieu merci, la succession du pouvoir s’est faite en douceur. La Patrie demandait, depuis une décennie, le changement. Mais ceux qui vénèrent la personnalité de Bourguiba n’ont jamais été persécutés. Pour moi, par exemple, le 1er juin 1955 restera toujours vivant dans ma mémoire, le port de La Goulette, l’euphorie, ces femmes ôtant le voile, le déchirant et le jetant au pied du Combattant Suprême. Ces images ne me quitteront jamais, personne ne m’en veut à ce que je sache, ce qui ne m’empêche pas de respecter et de soutenir le Président Ben Ali qui a donné le temps au temps.