Comme tous les petits Musulmans de quatre ans, j’ai appris cinq versets du Coran: le premier rend grâce à Dieu, Miséricordieux; le second nous ordonne de croire à son unicité; le troisième nous recommande de nous éloigner des pensées maléfiques et démoniaques; le quatrième nous conseille de nous méfier des envieux et des méchants et enfin le cinquième nous enseigne la tolérance et le respect des croyances des autres, de leurs religions, de leurs modes de vie, tout en nous attachant fermement à la nôtre. Ce doit être pour cela que sur les bancs d’écoliers je n’ai jamais fait la différence entre les Smaoui, les Lellouch, ou les Brun, et que seules les heures de catéchisme nous séparaient. Juives, Musulmanes et Catholiques écoutaient les cours de morale enseignés par une bonne sœur-c’était avant 67.
En classe de philosophie, nous apprîmes les horreurs du Nazisme, le problème de la “question juive”, les horreurs du Stalinisme, la traîtrise du Maréchal Pétain, l’Axe, les Alliés. En Histoire on eut à comprendre l’injustice onusienne de décider la création d’un Etat juif: Israël, en chassant de leur terre les Palestiniens. En littérature anglaise, nous étudiâmes Shakespeare et ses tragédies sanglantes; les bûchers, les massacres et les rois sanguinaires, mais aussi des reines, dont Marie la sanglante. En littérature américaine, les conquistadors portugais et espagnols décimèrent les Indiens, et les immigrés venus d’Europe, jusqu’il y a un siècle, pratiquaient encore l’esclavage, et méprisaient l’être humain selon sa peau.
Avec la décolonisation presque généralisée, les jeunes du Tiers-Monde ont trouvé leurs pays libérés exsangues – les musées les plus fameux du Monde contiennent les patrimoines des pays colonisés durant des siècles- le pillage sans vergogne et sans droit fut pratiqué. Non seulement les sous-sols furent éventrés, les richesses détournées, or, diamants, minéraux ont contribué à monter leur fortune et leur puissance, mais les autochtones ont été maintenus dans l’ignorance et l’analphabétisme, quand leur langue n’a pas été interdite officiellement, comme ce fut le cas pour l’Algérie.
Les pays industrialisés et riches ont changé même les frontières des pays, ont dessiné des lignes imaginaires contre nature, diviser pour régner, telle devait être la devise. Entretenir des princes et des rois fantoches, des régimes bananiers pour maintenir le Tiers-Monde sous la botte, des populations entières ont été déportées. Tout cela n’est un secret pour personne. Il s’y ajoute la puissance économique, militaire, technologique, le monde est divisé en Nord Sud, en riches et pauvres – ceux qui meurent d’obésité et ceux qui crèvent, la peau sur les os.
Faut-il croire pour autant que les Tiers-mondistes sont bêtes? Faut-il imaginer qu’ils sont bons? Non, ils ne sont ni l’un, ni l’autre.
La réponse est qu’ils sont économiquement impuissants, la vérité est qu’ils ne croient pas les Occidentaux quand ils leur sortent les principes des Droits de l’Homme à toutes les sauces. Un intellectuel occidental intègre et sérieux peut-il justifier qu’un honnête homme, sérieux, bien éduqué, professeur d’université ou médecin, soit soumis à toutes les suspicions, à toutes les formalités douanières et policières pour participer à un congrès international et subir des humiliations pour l’obtention d’un visa, alors qu’un délinquant, tatoué, sale, ancien bagnard rentre dans notre pays muni seulement d’une carte d’identité occidentale, semi drogué, semi fauché et pourquoi pas sidéen. L’Occidental honnête et croyant aux valeurs telles que la liberté, l’égalité, la justice, la dignité, peut-il affirmer ignorer que le Tiers-Mondiste n’est pas heureux d’échanger son blé aussi pur que l’or contre le blé irradié et toléré par l’OMS, de céder son huile d’olive contre l’huile végétale, d’exporter les crevettes et les langoustes en échange de devises pour le bien-être économique du pays.
Les Tiers-Mondistes savent que leur chemin de croix est loin d’être achevé. Mais il serait naïf de croire qu’ils sont ignorants de tous les problèmes et de tous les fléaux dont souffre le Monde riche, industrialisé et puissant: une décadence civilisationnelle et une perte des valeurs universelles liées à l’éthique: perversions, incestes, violences, viols et meurtres d’enfants; pornographies, destruction des liens familiaux, drogue, pédérastie, homosexualité, Sida, enfants sans grandes illusions, sans motivation – enfants assassins de bébés – parents assassins d’enfants. Voilà ce que nous rapportent nos antennes paraboliques: une misère morale profonde existe chez les nantis économiquement.
La Tunisienne arabo-musulmane que je suis, convaincue de ma religion et de ses valeurs, et donc du verset coranique prêchant la tolérance: “Ils ont leur religion, et j’ai la mienne”, n’a jamais méprisé les êtres humains dont les comportements actuels paraissent relever plus d’instincts animaliers et de chaos dans leur être et leur paraitre. J’ai mon identité arabo-musulmane, ils ont une identité différente, je n’ai pas de jugement de valeur à émettre, les cours des civilisations sont cycliques, l’avenir jugera du devenir de ces pays qui ont pour Dieu la matière et l’impression de puissance et de domination de la nature.
Permettez-moi de vous exposer les faits d’une affaire juridique que j’ai eu à suivre devant un tribunal de la famille, aux Etats Unis: deux femmes lesbiennes, vivant ensemble en bonne entente depuis quelques années déjà, au su et au vu de tous, ont décidé de se marier. Elles prirent contact avec un avocat qui établit entre elles l’acte célébrant leur union. Puis elles décidèrent d’avoir un enfant et, comme l’opération est organiquement impossible, elles partirent dans un pays voisin d’Amérique Latine où l’une d’elles subit en clinique une insémination artificielle d’un sperme congelé d’un basané.
Une fillette naquit dans le foyer du couple de lesbiennes·. Le ménage a trois créa des problèmes, et les deux femmes décidèrent de se quitter. Il était donc demandé au juge de statuer sur le droit de garde, de visite, et l’obligation de fournir la pension alimentaire à l’enfant. Plus j’écoutais (et Dieu sait si pendant vingt ans de carrière, j’ai eu à connaitre des cas peu communs), plus les détails de cette affaire me bloquaient les méninges. Comment allait donc trancher le juge dans tant de turpitudes? Le juge a rendu sereinement le jugement accordant à la mère biologique le droit de garde de l’enfant et à “l’ex” de Maman le droit de visite. Quand je fis part de ma consternation au magistrat, lui disant que c’était là un moyen d’entériner et de légaliser peut-être des situations non naturelles plutôt bizarres, il me répondit avec beaucoup de courtoisie: “Madame, ces personnes existent vraiment, elles ne peuvent vivre sans réponse à leurs requêtes”. Le verset coranique me revint, et je me dis qu’ils ont leurs croyances et que j’ai les miennes”. Quand les médias européens diabolisent le foulard “islamique”, qu’est-ce qui lui vaut cette appellation? On se le demande? Est-il dans sa texture? Où serait-il le sixième commandement de l’Islam – serait-il le sixième pilier de la croyance? On se demande si leurs fantasmes ne reviennent pas, n’est-ce pas eux qui ont inventé l’étoile jaune d’Anne Frank…
Mais quand la chaîne de télévision franco-allemande “Arte” passe le vendredi 19 novembre 93, sur son canal, un film extrait du livre de Patricia High Smith, injurieux pour les Arabes, les traitant par les paroles et par l’image de débiles profonds, de moralement sales, d’assassins, de voleurs et de menteurs, je ne peux que m’insurger contre les incitations à la haine et condamner le racisme méprisable et odieux, et qui n’honore pas “Arte”. Mais quand, en plus, ce film est tourné en Tunisie, et à Hammamet, dans les souks tunisiens avec des Tunisiens, l’injure est nette et précise. Selon l’expression même d’un des deux acteurs “son chien n’aime pas l’Arabe”. Les paysages pris en Tunisie auraient subi un montage sciemment infamant pour la Tunisie de 1993, les paroles aussi, parait-il, naissent hors de nos frontières, selon les informations prises auprès du Ministère de la Culture.
Peut-être Messieurs les Ministres de l’Information et de la Culture nous rediffuseront-ils le film sur la chaîne nationale, pour que notre jeunesse comprenne l’importance des médias (des millions de télespectateurs ont vu ce film le vendredi 19/11/93. Ils ont leurs idées sur les Tunisiens et la Tunisie. Idées fausses, racistes, injurieuses). Il faut que les jeunes sachent et décident s’ils pensent qu’il faut porter plainte contre la chaîne Arte qui permet la propagation de propos racistes contre les Tunisiens et la Tunisie, un pays qui a une réputation bien assise de tolérance et de modération.
Dans le générique figuraient plusieurs noms de personnes arabes; jusqu’où savaient elles qu’elles étaient manipulées – semble- il – Y aura-t-il enquête? On a prêté nos paysages en vue de faire travailler les techniciens, en vue de procurer des devises à l’économie du pays, c’est le lot des pays en voie de développement. Je n’ imagine pas qu’un Tunisien ait pu connaitre les intentions racistes de l’individu qui a filmé la Tunisie du Moyen-âge peut-être, en donnant l’illusion que c’est un pays arabe de 1993. Et pourtant il y a eu négligence quelque part. En tous cas, même si je devais le faire seule, je demanderais réparation du préjudice moral porté à la dignité.
Une chose est positive au moins, la tolérance qu’enseigne et ordonne l’ Islam nous tient loin de la haine et du racisme. Malgré la présence de Juifs tunisiens, en période de crise en 1967, quand les esprits étaient échauffés, il n’y a eu ni Auschwitz ni Oradour.