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Emna Dakhlaoui

Qui ne dit mot consent

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La cigale tunisienne

Posted on 21 May 2021 by admin6303

J’ouvris les yeux vers onze heures, ce matin là, complètement courba­turée, le corps endolori, la tête lourde, l’estomac barbouillé, les membres engourdis… confusion totale de l’esprit…  J’essayai  de mettre un peu d’ordre dans mes pensées… Que s’était-il donc passé la veille pour que je me trouve dans cet état?

Ah, oui, J’avais été invitée à un festin à l’occasion de fiançailles… J’avais fait des rencontres absolu­ment merveilleuses et auxquelles il était difficile de résister … J’ ai suc­combé…  Eve a quitté le Paradis pour moins que ça. Sur une table sans fin, s’alignaient les mets les plus fins, les langoustes côtoyaient  les  crevettes et toutes deux rivalisaient en rougeur et en fraîcheur avec le rouget de roche … Le saumon et le caviar offraient de si beaux contrastes, le mulet et le loup s’élongeaient de leur mieux… Les viandes se  disputaient les genres et les goûts… Que dire des desserts? Les bananes narguaient les régimes, et les cerises les lèvres  des dames, les pêches se comparaient aux joues des jeunes filles et les raisins noirs et verts aux  yeux  des belles –  les noix de coco, les ananas, les    mangues,    les    avocats   vous transportaient sur les îles du Paci­fique…

Tout cela était féerique et d’autant plus féerique que les prix n’étaient pas affichés dessus, et je ne devais rien payer, surtout pas les cocasses S.G. des cartes de restaurants (selon grandeur ou selon gourdin), je man­geai donc tout à la fois pour me con­vaincre qu’il n’y a jamais eu de sécheresse ni de sauterelle, que le pays traverse une ère de prospérité exceptionnelle, que l’importation des fruits n’est pas prohibée, que le poisson est à la portée de tous, que dans n’importe quelle grande surface on peut s’approvisionner en saumon et en caviar, que les caisses de l’Etat n’ont pas été vidées sous l’ancien régime par certains serviteurs du peuple et que le couffin de la ména­gère ne doit pas être fixé à son poi­gnet  pour  qu’il ne s’envole pas.

La solution est trouvée! En cas de sécheresse pour l’année 88-89, il n’y aurait plus qu’à arranger des fian­çailles pour radier les pénuries. Cela est valable pour toutes les couches sociales, où l’on sacrifie le seul ou le dernier veau et la seule ou la dernière poule, deux ou trois salaires anti­cipés…  ou des effets mis en gage.

Et puis l’été, n’est-il pas la saison des festivals, des festivités, de la mer et du soleil, des nuits étoilées, du jasmin, des veillées… C’est l’ époque où la majorité des Tunisiens pensent en plein accord avec le Candide de Voltaire que «tout est bien dans le meilleur des mondes possibles». C’est un véritable phénomène social : la plupart des citoyens s’identifient à la cigale de Jean de la Fontaine pour laquelle chanter est le souci estival primordial. Mais dans la fable de la Fontaine la cigale eut une triste fin.

Et… si on transposait cette fable  à la société tunisienne  juste une  petite gymnastique de l’esprit ne sommes nous pas en Démocratie.

Ainsi la  cigale  ayant  chanté  tout l’été, décida à la rentrée de s’inté­resser à la vie publique : elle com­mença par acheter le journal, à la troisième page, elle lut que les lois abrogeant la polygamie, la  répudia­tion par le conjoint ont été réinsti­tuées, que les  lois instituant  le droit de la femme au travail, la tutelle légale de la veuve, le droit à la suc­cession exclusive des filles à la suite du décès de leur père, le droit au contrôle des naissances, à la liberté de l’ avortement , le droit de garde des enfants  de la  femme qui se remarie, l’adoption… ont été abrogés que la loi sur le port du Tchador entrera en vigueur l’été 89 excluant définiti­vement  tout  autre  vêtement  –   Et que    ces   lois   ont   été   votées à  l’ Assemblée Nationale, après que les mass-média en  aient  largement traité.

Elle s’écria! non, ce n’est pas pos­sible! Ils n’ont pas pu faire ça ! C’est un canular. Elle téléphona à toutes les estivantes qui n’ étaient pas au courant… qui dormaient encore, et toujours sur les acquis du c.s.p. – Puis elle eut l’idée d’appeler une connaissance qu’elle soupçonnait d’être fourmi –   Celle-ci lui répondit :

Que faisiez-vous aux temps chauds?

  • Je chantais, ne vous déplaise?
  • Vous chantiez? j’en suis fort aise. Eh bien dansez maintenant !

La cigale abasourdie se mit à faire son   introspection :  –  Comment Diable en est-elle arrivée là? Com­ment a-t-elle pu se désintéresser de son sort, de celui de ses compatriotes, du sort de son pays? Com­ment a-t-elle été acculée à l’indiffé­rence la plus totale? D’où lui sont venues sa déprime et sa résignation? Il faut dire que sous l’ancien régime et à partir des années 80  elle  assista au triomphe de l’argent, du sexe, de la matière, sur les valeurs morales, religieuses,  familiales  (ce n’est  pas  l’ ex-première Dame de Tunisie qui pourrait  soutenir  le contraire…).

Ainsi des hautes sphères se sont ouvertes les vannes des égouts sur le petit peuple qui a été contaminé.     ·

La cigale s’était adonnée alors aux chants lugubres, dénonçant la dépravation, la luxure, les abus, les escroqueries…

Elle se vit traiter de timbrée, de dépressive, d’envieuse,  de  vieux jeu… et se mit a douter de sa santé mentale devant la généralisation du fléau qui s’abattait  sur le pays.

Alors elle se replia sur elle-même, impuissante devant la métamor­phose des cloportes .

Elle  a  bien  tremblé  l’été  87  à la perspective   d’un Etat islamiste  à l’iranienne tel qu’il était décrit pari les journaux officiels de l’époque rapportant stupidement les commen­taires de journaux de Droite occidentaux.

Mais en a-t-elle tiré des conclu­sions ? Non! A-t-elle réalisé que son attitude passive, sa résignation, sa garantie – C.S.P.,  en  réalité   si  précaire- sa politique de l’autruche ont failli la faire basculer dans les ténèbres?

Non ! Puisque l’ orage est passé et le temps s’est mis au beau, par la Grâce du nouveau régime.  Et  puis c’est tellement agréable d’être assistée.

La cigale se dit qu’elle ne pouvait tout de même pas se reprocher de n’avoir pas assisté le 13 août (Fête de  la  Femme)  au  meeting  auquel l’ appelait la nouvelle Présidente. Celle-ci a bien reconnu que l’UNFT est une organisation sans âme, boy­cottée par toutes les femmes qui se respectent et depuis longtemps. Et d’ailleurs qui a assisté à ce meeting ?

A part les nouveaux dirigeants et quelques  membres  fondateurs  et militantes de première heure, il  y avait les autres… Celles qui ont cru­cifié l’UNFT et  leurs homologues  de l’ intérieur de la République, rame­nées par les éternels bus, suivies de leurs suivantes. Elles étaient encore une fois prêtes à manger à tous les râteliers, rompues qu’elles  étaient aux coups fourrés pour faire place nette autour d’elles.

A l’entrée da la  Présidente,  l’une d’elle, barbouze sur les bords entama l’hymne national et tous les moutons de panurge de continuer en chœur. A croire que ce virus n’est pas  mort avec l’ ancien régime. Cet Hymne National qui embuait les yeux de larmes et donnait des frissons, quel message porte t-il  désormais?

Il a été annoncé que ce sera le meeting du destin puisque c’est  le  premier de l’an I. Il aurait pu l’être si toutes le  femmes avaient eu l’élan du cœur pour accorder le préjugé favorable à  Mme  Mezhoud  (réputée pour  son intelligence, son intégrité et son sens de l’honneur) ou l’élan de la raison pour admettre que la femme tunisienne doit prendre en mains son destin,  maintenant  plus  que  jamais; ou  au   moins   l’élan   démocratique pour   écouter,   juger, puis décider.

Mais le dégoût de l’UNFT qui n’a d’égal que celui qu’on éprouvait pour le PSD a été le plus fort.

Il est évident que ce n’est pas Mme Mezhoud qui a été boudée mais l’UNFT qui a été boycottée. Elle le demeurera tant qu’elle n’aura pas subi une série de transformations, de fond, de nature, de programmes et d’objectifs.

La cigale, son introspection faite se demanda, si elle était cigale, ou plutôt autruche. Elle opta pour la seconde qualification et subit le  sort de l’ autruche . Mais quittons le monde des fables et regardons  notre réalité en  face :

Comment donc les femmes tunisiennes se permettent-elles d’ignorer que  leur  statut est  unique  dans le monde arabe-musulman et  qu’il faut le défendre et veiller à sa survie d’ autant plus que les réformateurs rétrogrades le guettent.

A mon avis ce n’est qu’au sein d’une organisation puissante qu’elles feront valoir leurs droits de citoyennes à part entière, de femme, de mère, d’épouse, de fille. Il y a une infinité de problèmes que seules leur expérience et leur affectivité peuvent résoudre. Une organisation de femmes qui ne s’oppose pas aux hommes (ce serait un non-sens!) où les problèmes spécifiques aux femmes pourraient trouver leur solu­tion ; où des problèmes se rattachant à la famille entière seront étudiés et débattus.

Le  courant  devra  passer  entre les femmes tunisiennes du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, de la citadine à la paysanne, de la manuelle à l’intellec­tuelle, de la bien-nantie à la moins­ nantie, des jeunes aux moins jeunes. Enfin une organisation qui serait représentative  de toutes les couches sociales.

Pourquoi· ne pas ouvrir le débat? Pourquoi tourner le dos à une organisation féminine et s’avouer vaincues pour toujours. Par des efforts conju­gués et une foi à toute épreuve on pourrait faire ressusciter l’ UNFT qui ferait peau neuve.

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Emna Dakhlaoui

Emna Dakhlaoui est ancienne magistrate et avocate près la Cour de cassation de Tunis. Pendant plusieurs années, elle a contribué en tant que journaliste au sein du journal Réalités. Ce site regroupe une grande partie de ses articles et tribunes.

 

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